samedi 8 avril 2023

Bureaucratique

Paris, 3 août 1789

L’usage de nos jours souvent péjoratif du mot bureaucratie s'est écarté de son sens étymologique : pouvoir politique des bureaux. Le mot fut créé, nous dit Le Robert, par l’économiste Vincent de Gournay (1712-1759), mais n’est attesté qu’après sa mort (Correspondance littéraire de juillet 1764, à propos de Gournais). Quant à l’adjectif bureaucratique, le même dictionnaire affirme qu’il est apparu en 1796, mais on le rencontre dans la presse avant cette date. 

En août 1789, dans son Courrier de Provence, Mirabeau se moque d’un commis des Affaires étrangères qui, en 1780, avait prédit le renversement du système politique anglais dont il opposait la fragilité à la solidité des institutions françaises. Or, « l’Angleterre a échappé ; et la grande Monarchie, dont le Gouvernement Bureaucratique paraissait si parfait au ministre subalterne, cherche aujourd’hui sa Constitution. » L’année suivante, le Journal de la Cour et de la Ville confirme que  bureaucratique qualifie la maladie fatale dont souffrait la monarchie française avant la Révolution : « À la fin notre administration était entièrement dirigée par les Bureaux, et par conséquent le régime qui nous a perdus était le régime bureaucratique dérivant du pouvoir d’un Monarque. »

Au même moment le réactionnaire Linguet se montre très sceptique quant à la capacité de la Révolution à guérir ce mal français. Le pouvoir des bureaux est intact et échappe à tout contrôle démocratique :

                          Sujet de méditation pour les Lecteurs qui en sont capables.

Nous avons vu … M. Necker envoyer sa tirelire ministérielle à l’Assemblée Nationale et l’Assemblée la remplir sans même s’informer s’il y avait un besoin réel, sans même rappeler au premier Ministre … son beau tableau du 29 Mai dernier, qui semblait écarter à l’avenir toute idée de cette mendicité bureaucratique.

Encore ressenti comme un néologisme, bureaucratique est en italique dans le texte original des Annales. Dès lors, les occurrences se multiplient dans les journaux, qui associent régulièrement l’adjectif aux vices du pouvoir qu’ils critiquent. Il est accueilli par le Dictionnaire de l’Académie en 1798 : « Bureautique, adj. Se dit de l’influence des Bureaux dans une Administration, et aussi d’un Régime où se multiplient sans nécessité les Bureaux. »

 

Sources : Correspondance littéraire, juillet 1764 ; Courrier de Provence n° 23, 1-3 août 1789 ; Journal général de la Cour et de la Ville, 8 juin 1790 ; Annales politiques, civiles et littéraires, nos 121 et 122, juin 1790, p. 196 ; Dictionnaire de l’Académie, Supplément, 1798.