samedi 6 mai 2023

Contre-révolution

 Paris, 25 novembre 1789

« Contre-révolution : seconde révolution en sens contraire de la première, et rétablissement des choses dans leur état précédent » (Supplément de 1798). Si cette seconde révolution ne suivit pas immédiatement la première, le mot quant à lui apparut sans tarder, dès l’automne 1789. Deux auteurs sont en compétition pour le titre de créateur du néologisme.

Dans Paris justifié contre M. Mounier, Louvet de Couvray, confesse son inquiétude de révolutionnaire convaincu :

Vers la fin de septembre surtout nous rencontrions beaucoup de gens comme nous effrayés, disposés à croire comme nous qu'avant huit jours il y auroit peut-être une contre-révolution bien terrible. (p. 45-46)

Cette brochure est datée de 1789, sans plus de précision. Mais Louvet dit réagir à un « affreux manifeste » qui vient d’être publié et qu’il critique phrase à phrase, à la manière des vieilles censures de la Sorbonne. C’est l’Exposé de ma conduite dans l’Assemblée nationale et des motifs de mon retour en Dauphiné, de Jean-Joseph Mounier, dont la Gazette nationale du 26 novembre annonce la parution et cite le début. Le Paris justifié date donc probablement de décembre 1789. Mounier, président de l’Assemblée, inspirateur du Serment du Jeu de Paume mais monarchiste dans l’âme, est effrayé par la fureur du peuple, qui s’est notamment manifestée les 5 et 6 octobre (massacre de gardes royaux, retour forcé du couple royal à Paris). Louvet, jusqu’alors plus connu pour ses romans libertins, attaque aussitôt Mounier, signant son premier écrit politique engagé et posant d’emblée les principes rhétoriques de ce que Valérie André nomme son « obsession du complot aristocratique ».

Mais Louvet avait été devancé de quelques jours par le rédacteur du Courier de Madon, Jacques Samuel Dinocheau.

C’était cependant le mercredi 25 novembre de l’an de grâce 1789, le matin ou le soir (car on n’en est pas EXCESSIVEMENT sûr), que les aristocrates, qui jettent de l’argent à pleines mains (comme chacun sait), devoient opérer une contre-révolution ! (n° 21, 25 novembre 1789, p. 247)

Dans les deux cas contre-révolution est mis en italique, ce qui laisse supposer que le terme est tout neuf. Mais alors que Louvet imagine cette contre-révolution, « investissant ses hypothèses catastrophistes d’un poids de vraisemblance » (V. André), Dinocheau semble lui répondre par anticipation en se moquant de ses prédictions et de ses alarmes. Contre-révolution est sans doute un mot né à gauche ; mais on voit, dès les premiers mois de la Révolution, cette gauche non seulement s’opposer aux monarchiens, mais se diviser entre les conspirationnistes à la Marat et ceux qui professent – pour combien de temps encore ? – une confiance teintée d’humour dans la marche rectiligne de l’Histoire.

 

Source : Valérie André, « Jean-Baptiste Louvet et l’obsession du complot aristocratique », in E. Danblon et L. Nicolas (dir.), Les Rhétoriques de la conspiration, CNRS éditions, 2010, p. 157-175.