samedi 25 mars 2023

Centraliser

Paris, le 4 décembre 1793

« Mot créé par Grégoire », tranche le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, sans donner plus d’informations. Ferdinand Brunot mentionne la Révolution, Grégoire, Danton et Payan, sans précision de date ni de source. Centraliser, c’est réunir au centre, « dans un même centre » dit Le Petit Robert avant d’ajouter : « ramener à une direction unique ». Centraliser qualifie le plus souvent l’action d’un système de gouvernement, et désigne le rassemblement des pouvoirs dans une même instance et un même lieu (une capitale).

Mais pendant la décennie de la Révolution le verbe concernait un domaine qui n’est guère prioritaire dans son emploi aujourd’hui : les finances. Chrétien Frédéric Schwan introduit le mot centraliser dans son Nouveau dictionnaire de la langue française et allemande, et plus exactement dans le Supplément du tome 4, ce qui démontre son caractère récent : « Auf einem Mittelpunkt vereinigen oder zusammen bringen » (réunir ou rassembler en un point central). Or, rappelons que Schwan était conseiller de la chambre des finances de Mannheim. L’objectif initial de la centralisation fut en effet, sous la République naissante en France, de faciliter la gestion des finances. Lors de la séance du 2 germinal an II (22 mars 1794), Cambon, membre du comité des finances de l’Assemblée législative et auteur du fameux Grand Livre de la dette publique, souligne son impact positif sur les dépenses de l’armée : 

Plus on centralise le gouvernement, plus les dépenses diminuent, plus on voit disparaître la foule des fripons qui nous entouraient auparavant.

La dimension économique du néologisme n’éclipse évidemment pas la perspective politique, objet d’un débat permanent. Les Nouvelles politiques nationales et étrangères rapportent les propos de Barère lors de la séance du 14 frimaire an II (4 décembre 1793), sur les dangers de la centralisation : 

Il faut établir une ligne de démarcation entre les mesures révolutionnaires et les mesures administratives ; il faut défendre à toute autorité constituée de centraliser les comités révolutionnaires, de les réunir en tout ou en partie, sauf le droit de correspondre avec ces comités pour les objets d’administration.

Mais centraliser n’en est pas moins l’idéal jacobin dominant ; le mot à la mode et mis à toutes les sauces. Grandiose et quelque peu mystérieux est le programme évoqué en l’an II par les Décades républicaines : « Le comité a pensé que la Convention nationale devait centraliser la gloire, comme elle disséminait le bonheur. »

 

Sources : P. Larousse, Grand dictionnaire universel du xixe siècle, t. 3 ; F. Brunot, Histoire de la langue française des origines à nos jours, t. 9, 2e partie, 1967 ; C. F. Schwan, Nouveau dictionnaire de la langue française et allemande, composé sur le Dictionnaire de l’Académie française […], 1793 ; Courrier de l'Isère, 22 mars 1794 ; Nouvelles politiques nationales et étrangères, 15 décembre 1793 ; Décades républicaines, 13e Décade, an II (1793).

 

J.-B. Barère par J.-L. Laneuville (1794)