Paris, avril 1790
Au xviie siècle, selon Furetière, le mot « meneur » désignait quelques activités très spécifiques : le meneur conduisait, au choix : une dame, par la main pour l’aider à marcher ; un ours, « dans les rues pour donner du plaisir au peuple » ; un autre homme, dans certaines cérémonies. Au siècle suivant le Dictionnaire de l’Académie remplace la troisième fonction par une autre, accessible aux femmes : « On appelle meneur, meneuse, celui, celle, qui se charge d’amener à Paris des nourrices aux bureaux des Recommandaresses et d’aller chez les parents des enfants mis en nourrice, pour recevoir les mois. » Un de ces quatre sens en a-t-il inspiré un cinquième, apparu dans les mois de la Révolution ?
Un pamphlet que l’on peut dater de la fin du mois d’avril 1790 – Trahison contre l’État, ou les jacobins dévoilés – attaque « les grands meneurs du Club » : l’orgueilleux Chapelier, Barnave le sanguinaire et d’autres figures du Club des jacobins, ainsi que l’on nommait désormais la société des Amis de la Constitution. Mais c’est en 1791 que le mot prend son envol : « Il est affreux, exécrable , infernal et jésuitique d'oser dire , comme les meneurs des jacobins : “hors de notre église , il n'y a point de salut !” », s’indigne, le 5 février 1791, l’auteur d’une feuille intitulée le Contre-Poison. « Meneurs des jacobins » : le Journal de la Cour et de la Ville utilise cette même expression le lendemain (6 février 1791). Puis le Spectateur national dénonce « les meneurs de la populace ignorante » (13 février) et « les meneurs du peuple ou démagogues » (8 mars), tout en affirmant que « le club se divise en meneurs et en menés » (7 mars). Les « meneurs des galeries » qui font bientôt la loi à l’Assemblée (Journal de Paris du 22 juillet 1792) sont sans doute eux-mêmes « menés », comme des femmes ou animaux sauvages. Mais avait-on alors le sentiment d’une métaphore ironique ?
Aujourd’hui que les nourrices sont aussi rares que les montreurs d’ours, et que les dames se meuvent toutes seules, meneur a principalement conservé son acception politique de 1790 : « personne qui, par son autorité, prend la tête d'un mouvement populaire » (Le Robert). « Que sont devenus les meneurs des gilets jaunes ? », feint de s’inquiéter le Figaro du 12 septembre 2020. Il n’y a guère que dans quelques sopets et jeux de société que le terme n’est pas connoté négativement.