dimanche 21 mai 2023

Agressif

Paris, 1791

 « Le plan agressif de l’ennemi échoua » : bien que nous ne soyons pas encore en mesure d’identifier l’auteur de ce propos, cité dans le Nouveau dictionnaire de C. F. Schwan (1793), l’adjectif voit probablement le jour sous la Révolution, le contexte politique y étant propice ; et Schwan de présenter un deuxième exemple en français à ses lecteurs : « La partie agressive », toujours sans en préciser l'auteur.

Selon Bernard Quemada, l’adjectif serait né « sous la plume de Barnave, exécuté en 1793 ». Une chose est sûre, on le rencontre déjà (en italique) en 1791 dans le Recueil général des lois et des arrêts de Jean-Baptiste Sirey en 1791 :

Un individu forme une demande […] ; on lui oppose une fin de non-recevoir prise d’un défaut de qualité […] quelles sont ici les conclusions de celui qui oppose la fin de non-recevoir ? A-t-il l’intention d’attaquer ou seulement de se défendre ? Une fin de non-recevoir n’a rien en soi d’agressif ; c’est purement et simplement un moyen de défense.

Pour Snetlage, en 1795, l’adjectif, « tout nouveau », qualifie ce « qui a rapport à l’attaque et à l’agression » ; définition qui ne fait pas la différence entre l’attaque, qui peut être justifiée par les circonstances, et l’agression, qui emporte généralement une condamnation morale, sauf, aujourd’hui, dans le domaine du sport où elle est au contraire valorisée (« Un SO Romorantin pas assez agressif selon son défenseur Adiouma Gaye », La Nouvelle République, 7 mai 2023).

Dans la 8e édition du Dictionnaire de l’Académie, agressif qualifie les choses (discours, paroles, manières) ; la 9e édition date l’adjectif « du XVIIe siècle », sans justification, et le définit d’abord comme un trait de caractère : « Agressif. Qui est enclin à attaquer, qui recherche l’affrontement avec autrui ». Rejoignant ainsi le TLFI : « qui est naturellement porté à attaquer ».

 

Sources : B. Quemada et alii, Matériaux pour l'histoire du vocabulaire français,  Annales littéraires de l'Université de Besançon, vol. 29, 1959, p. 83 ; J.-B. Sirey, Recueil général des lois et des arrêts : en matière civile, criminelle, commerciale et de droit public, 1791, p. 26 ;  Christian Friedrich Schwan, Nouveau dictionnaire de la langue française et allemande, 1793,  t. 4 ; Leonard Snetlage, Nouveau Dictionnaire français contenant les expressions de nouvelle création du peuple français, 1795.

 

Antoine Barnave par Joseph Boze, 1791
Musée Carnavalet 

samedi 6 mai 2023

Contre-révolution

 Paris, 25 novembre 1789

« Contre-révolution : seconde révolution en sens contraire de la première, et rétablissement des choses dans leur état précédent » (Supplément de 1798). Si cette seconde révolution ne suivit pas immédiatement la première, le mot quant à lui apparut sans tarder, dès l’automne 1789. Deux auteurs sont en compétition pour le titre de créateur du néologisme.

Dans Paris justifié contre M. Mounier, Louvet de Couvray, confesse son inquiétude de révolutionnaire convaincu :

Vers la fin de septembre surtout nous rencontrions beaucoup de gens comme nous effrayés, disposés à croire comme nous qu'avant huit jours il y auroit peut-être une contre-révolution bien terrible. (p. 45-46)

Cette brochure est datée de 1789, sans plus de précision. Mais Louvet dit réagir à un « affreux manifeste » qui vient d’être publié et qu’il critique phrase à phrase, à la manière des vieilles censures de la Sorbonne. C’est l’Exposé de ma conduite dans l’Assemblée nationale et des motifs de mon retour en Dauphiné, de Jean-Joseph Mounier, dont la Gazette nationale du 26 novembre annonce la parution et cite le début. Le Paris justifié date donc probablement de décembre 1789. Mounier, président de l’Assemblée, inspirateur du Serment du Jeu de Paume mais monarchiste dans l’âme, est effrayé par la fureur du peuple, qui s’est notamment manifestée les 5 et 6 octobre (massacre de gardes royaux, retour forcé du couple royal à Paris). Louvet, jusqu’alors plus connu pour ses romans libertins, attaque aussitôt Mounier, signant son premier écrit politique engagé et posant d’emblée les principes rhétoriques de ce que Valérie André nomme son « obsession du complot aristocratique ».

Mais Louvet avait été devancé de quelques jours par le rédacteur du Courier de Madon, Jacques Samuel Dinocheau.

C’était cependant le mercredi 25 novembre de l’an de grâce 1789, le matin ou le soir (car on n’en est pas EXCESSIVEMENT sûr), que les aristocrates, qui jettent de l’argent à pleines mains (comme chacun sait), devoient opérer une contre-révolution ! (n° 21, 25 novembre 1789, p. 247)

Dans les deux cas contre-révolution est mis en italique, ce qui laisse supposer que le terme est tout neuf. Mais alors que Louvet imagine cette contre-révolution, « investissant ses hypothèses catastrophistes d’un poids de vraisemblance » (V. André), Dinocheau semble lui répondre par anticipation en se moquant de ses prédictions et de ses alarmes. Contre-révolution est sans doute un mot né à gauche ; mais on voit, dès les premiers mois de la Révolution, cette gauche non seulement s’opposer aux monarchiens, mais se diviser entre les conspirationnistes à la Marat et ceux qui professent – pour combien de temps encore ? – une confiance teintée d’humour dans la marche rectiligne de l’Histoire.

 

Source : Valérie André, « Jean-Baptiste Louvet et l’obsession du complot aristocratique », in E. Danblon et L. Nicolas (dir.), Les Rhétoriques de la conspiration, CNRS éditions, 2010, p. 157-175.