samedi 17 juin 2023

Évasif

 Paris, 1791

On ne parle guère aujourd’hui d’évasion pour désigner la tentative de fuite qui aboutit à l’arrestation de Louis XVI à Varennes. On préfère les expressions assez maladroites de « fuite de Varennes » ou de « fuite à Varennes ». Le terme fut pourtant employé par des contemporains, tel Louis Marie Prudhomme : « Crimes de l’évasion de Louis XVI et de sa famille, le 21 juin 1791 ». Ce n’est toutefois pas d’évasion qu’il s’agit ici, mais d’évasif.

Quoique Budé parle déjà de "réponses frustratoires et évasives", ce mot est enregistré pour la première fois par l’Académie en 1798 : « Évasif, ive, adject. Qui sert à éluder. Une réponse évasive. Il est usité dans dans le style des Négociateurs ». L’adjectif était toutefois sorti du domaine de la diplomatie pendant la décennie précédente, dans un sens clairement péjoratif : est évasif celui qui est délibérément imprécis, qui fuit un sujet.

Le premier emploi que nous ayons repéré n’est pas politique. En 1791, le théoricien belge Jérôme Joseph de Momigny critique la mauvaise foi de Rameau qui, fâché d’avoir commis une erreur, au lieu de se rétracter tout simplement , « cherche un moyen évasif » de se tirer de ce mauvais pas. L’adjectif est repris en 1792 par Le Défenseur de la Constitution ; Robespierre tempête contre l’ajournement du jugement de Lafayette :

Tous les bons citoyens se sont accordés à regarder ce décret évasif, comme plus funeste et plus indigne de la loyauté du corps législatif, qu’une absolution formelle, que l’opinion publique n’a point permis de prononcer.

Le bon citoyen n’est pas évasif. Le citoyen Audibert Faure, de Bordeaux, est animé d’un semblable zèle révolutionnaire. Dans une lettre publiée par les Annales patriotiques en février 1793, il fustige le laxisme de la Convention, qui tarde à venger un agent de la République, victime d’un attentat à Rome : « la vengeance doit être aussi prompte que l’éclair : marchons à Rome. » À défaut d’une opération militaire, il se satisferait d’une humiliation publique des puissances européennes tenues responsables :

Leurs excuses, bien entendues et bien prononcées sans nulle équivoque à la barre de la Convention, seront bien plus agréables à la nation française que si elles étaient faites de trois à quatre cents lieues par écrit et dans un style évasif.

Dans la France de 1793, il n’y plus de place pour les atermoiements, les tergiversations, les hésitations, les compromis de la vieille diplomatie. L’évasif est contre-révolutionnaire.

 

Sources : L. M. Prudhomme, Histoire générale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution française, 1797 ; J. J. de Momigny, Encyclopédie méthodique. Musique, tome premier, article « Gamme », 1791 ; Robespierre, Le Défenseur de la Constitution, n° 10, 1792 ; Annales patriotiques et littéraires, 19 février 1793.

 

 Jean-Philippe Rameau par Charles Paul Landon