Strasbourg, 1793
« Humoriste, emporté, fou, sot, atrabilaire ! » Lisette, soubrette d’une comédie de 1789, n’insère pas arbitrairement un intrus dans son portrait du maître de Frontin. En effet, l’adjectif humoriste se dit alors « dans le style familier d’un homme qui a de l’humeur, avec lequel il est difficile de vivre » loin de l’acception actuelle du substantif :
« HUMORISTE nom. XVIIIe siècle. Emprunté de l’anglais humorist, de même sens. Personne qui a le don de l’humour et qui l’exerce dans différents domaines. » (Dictionnaire de l’Académie, 9e édition).
Jusqu’en 1935 l’Académie s’en était tenue à la définition qu’elle avait donné en 1762.
Sous la Révolution, l’humoriste reste celui dont le comportement est dicté par l’humeur, qui surprend par des réactions capricieuses. Par exemple, l’héroïne de Saint-Flour et Justine, un roman publié en 1792 par le marquis de Fortia d’Urban, s’étonne de la réaction d’un séducteur dépité : « Flavicourt me quitta : je demeurai toute étonnée. Mais après un moment de réflexion, j’attribuai cette étrange morale & le ton brusque, humoriste, avec lequel il l’avait débitée, à son attachement pour moi ».
En 1795, le Dictionnaire de Snetlage est le premier dictionnaire de langue française à rendre compte de la double dimension de l’adjectif : noire et gaie. L’humoriste peut être capricieux et sombre, ou plaisant et spirituel.
HUMORISTE. adj. de t. g. Celui, qui a beaucoup d’humeur soit bonne, soit mauvaise, soit gaieté d’humeur, qui se manifeste par des saillies d’esprit et un torrent de paroles piquantes ou la bonne plaisanterie, soit humeur sombre et recueillement profond, qui se prononce souvent par un Silence expressif ou une couple de paroles d’un grand sens.
Dans cet article très développé, Snetlage insiste sur l’influence étrangère, attestée par deux dictionnaires bilingues :
Les Français ont donc fait enfin l’acquisition d’un adjectif, qui répond assez bien à ce que les Allemands expriment par launigt et les Anglais par Houmor [sic], quoique le substantif humeur sans y joindre un adjectif convenable ne rende pas entièrement ce que les premiers appellent Laune et les Anglais houmor.
Cet adjectif se trouve déjà effectivement dans le Dictionnaire de de la Veaux, mais seulement dans le sens borné de launisch. Le Dictionnaire le plus récent, celui de Strasbourg, 1793, qui rend le mieux l’acception, qu’on donne aujourd’hui aux mots en France, ajoute expressément la signification de launigt, oder Laune habend. On dit aujourd’hui : un homme humoriste. Un trait humoriste. Un ouvrage rempli de traits et de pensées humoristes. Des saillies humoristes (launige Einfülle).
L’adjectif a disparu des dictionnaires récents (au profit d’humoristique, qui ne peut s’appliquer à une personne). Quant à l’humoriste, il se définit aujourd’hui moins par son caractère ou par son humeur, que par sa profession.
Sources : Louis Jean Baptiste Étienne Vigée, L'Entrevue, 1789 ; Snetlage, Nouveau dictionnaire français, 1795 ; Jean-Charles Thibault de Laveaux, Dictionnaire français-allemand et allemand-français, [1784-1785], 3e éd., Berlin, 1790 ; Nouveau Dictionnaire allemand-français et français allemand à l’usage des deux nations, [1762, 1774], 3e édition plus perfectionnée que les précédentes, Strasbourg, Amand König, 1782 ; nous n’avons pas trouvé l’édition de 1793 citée par Snetlage.
« A Sphere Projecting against a Plane »,