samedi 7 octobre 2023

Fervidor

 Paris, octobre 1793

Dans l’Époux républicain, drame patriotique en deux actes et en prose représenté pour la première fois sur le Théâtre de la Cité le 20 Pluviose, seconde année de la République française (8 février 1794), Baptiste Maurin de Pompigny nomme cinq de ses personnages Fervidor, Floréal, Brumaire, Germinal, Vendémiaire. Fervidor est à la hauteur de son nom : « Brave jeune homme ! quel zéle, quelle chaleur ! Voilà ce qui s’appelle un vrai Patriote ! » ; Floréal est un jeune amoureux imprudent ; Brumaire, un nébuleux intrigant. Le nouveau calendrier républicain fait ainsi son entrée au théâtre.

Le décret du 5 octobre 1793 de la Convention nationale « concernant l’ère des Français » a voté l’abolition du calendrier grégorien, et son remplacement par un nouveau, laïc, fondé sur « les mouvements célestes » et la « numération décimale », conçu par une commission ad hoc qui comprenant notamment Charles Gilbert Romme et le poète Philippe François Nazaire Fabre, dit Fabre d’Églantine. Mais le nom des mois ne fut fixé que par un second décret, le 24 novembre 1793. Dans l’intervalle la presse annonça, expliqua et discuta les nouvelles dénominations.

Dès le 27 octobre, les Annales patriotiques et littéraires croient disposer d’informations fiables :

Voici les noms des mois et des jours du nouveau calendrier, que nous avons annoncé hier. Ces noms dérivent de la température de l’air ou des productions de la nature pendant leur durée ; leur terminaison plus ou moins brève ou longue, sonore ou sourde, indique la beauté ou la rigueur des saisons qui s’écoulent ces fractions de l’année. Chaque nouveau mois commence du 22 au 22 du mois qui suit […]. Août s’appellera FERVIDOR, du mot fervidus, qui signifie brûlant.

Mais le 2 novembre 1793, le Journal des débats et des décrets rectifie déjà : « Été : Messidor, Thermidor, Fructidor ». En janvier 1794, La Feuille villageoise revient sur l’hésitation concernant le onzième mois du nouveau calendrier :

Dernières observations sur le nouveau Calendrier. Le onzième mois avait d’abord été nommé fervidor, du latin fervidus, ardent, brûlant. Il a été ensuite dénommé thermidor, du grec Therma, thermé ou thermon, qui tous veulent dire chaleur, ou de thermos qui signifie chaud. L’inconvénient de ce nom est d’avoir seul une origine grecque, entre tous les mois qui en ont une latine, tandis que fervidor conservait l’analogie. Mais c’est encore ce qui importe assez peu, pourvu qu’on sache bien que thermidor comme fervidor est le mois des grandes chaleurs.

L’abandon de fervidor ne fut jamais justifié. Il semble être intervenu entre la lecture du rapport de la commission devant la Convention, « dans la séance du 3 du second mois de la seconde année de la République française » (24 octobre 1793) et la publication dudit rapport. Voici les premières lignes de ce rapport, qui souligne l’importance que la Révolution accorde à la langue :

La commission que vous avez nommée pour rendre le nouveau calendrier plus sensible à la pensée et plus accessible à la mémoire, a donc cru qu’elle remplirait son but, si elle parvenait à frapper l’imagination par les dénominations, et à instruire par la nature et la série des images.

Le calendrier républicain fut abrogé le 31 décembre 1805. Ses auteurs avaient disparu longtemps avant lui. Romme s’était suicidé en prairial an III. Fabre d’Églantine, guillotiné en germinal an II, ne connut donc jamais thermidor, ni la moitié des mois qu’il avait nommés.

 

Sources :  Calendrier de la république française, une et indivisible, au nom de la commission chargée de sa confection, par Fabre d'Églantine, 1794 ; Annales patriotiques et littéraires, 27 octobre 1793 ; le Mercure français, 2 novembre 1793 ; Journal des débats et des décrets, 2 novembre 1793, p. 10 ; La Feuille villageoise, 2 janvier 1794.


Fabre d'Églantine, musée de Carcassone