Janvier 1794
L’Encyclopédie nous apprend que les Vandales étaient « une nation barbare faisant partie de celle des Goths, & qui, comme cette derniere, étoit venue de Scandinavie. » Elle harassa les Romains pendant au moins cinq siècles depuis le temps d’Auguste jusqu’en 455, quand « Genseric vint en Italie où il prit & pilla la ville de Rome. » Elle infesta les vallées du Rhin et du Danube, le Moyen Orient, l’Espagne, l’Italie, l’Afrique du Nord, sans s’établir durablement nulle part. D’ailleurs, « le nom des Vandales vient du mot gothique vandelen qui signifie encore aujourd’hui en allemand errer ». Sans marquer de sympathie pour les Vandales, Jaucourt ne dit pas qu’ils aient été plus destructeurs que les Sueves ou les Alains. Pourtant, de tous les Goths, ce sont eux qui ont la plus détestable réputation et le Supplément du Dictionnaire de l’Académie de 1798 peut définir « Vandalisme : Système, régime destructifs des Sciences et des Arts, par allusion aux Vandales » ?
Aujourd’hui, le vandalisme n’est plus un « système ». Selon la définition légale ou administrative, c’est « le fait de porter atteinte volontairement aux biens privés ou publics sans motif légitime ». Qu’est-ce qu’un motif légitime ? d’autre part, si vous incendiez la cathédrale de Nantes, vous ne serez pas jugé pour vandalisme. Le vandalisme ne semble plus caractériser que des dégradations de faible ampleur, quels qu’en soient les motifs. Mais c’est à un phénomène de grande ampleur que s’attaqua l’abbé Grégoire en 1794.
Dès janvier, il présente un rapport du comité d’instruction attirant l’attention sur la question particulière des inscriptions des monuments publics : « L’on ne peut inspirer aux citoyens trop d’horreur pour ce vandalisme qui ne connaît que la destruction » ; mais le rapport accepte celle de tout ce qui porte « l’empreinte du royalisme et de la féodalité ». Tout au long de l’année, Grégoire élargit le champ de la notion. En décembre, le Troisième Rapport sur le vandalisme s’inquiète du sort des monuments, essentiels « au bonheur social », mais déplore aussi celui des hommes à talents incarcérés ou guillotinés. Une année « a failli détruire le produit de plusieurs siècles de civilisation. »
En septembre, François-Xavier Lanthenas renchérit sur la gravité du fléau : « Le vandalisme n’est pas moins redoutable pour la liberté, que la Vendée même et tous les satellites des puissances coalisées ». C’est que vandalisme a pris alors un sens politique pour désigner tous les excès de la Terreur. Avant même que Grégoire ne popularise le substantif, l’adjectif vandalique appartient au vocabulaire contre-révolutionnaire : La Révolution de 1792 du 11 mars 1793 dénonçait les satrapes de Robespierre qui « ont fait une irruption Vandalique sur les bureaux de Brissot, de Gorsas, de Nicole et de Garneri, éditeur de la Chronique de Paris ».
Mais Joseph Lavallée, à l’occasion d’une visite à Poitiers, contre-attaque et soutient que les vrais barbares ne sont pas ceux que l’on croit :
L’histoire s’extasie sur les affronts innombrables que les hordes barbares et les Sarrasins ont fait éprouver aux arts ; mais on ne dit pas que le catholicisme est un vandalisme bien plus désastreux, qui , depuis seize siècles ronge sans pitié tout ce que l’antiquité avait semé sur la terre pour la leçon de l’humanité. Les Goths, les Teutons, les Grotonges, etc., ont renversé des monuments ; mais l’église a mieux fait, elle les a défigurés.
Sources : Henri Grégoire, Rapport sur les inscriptions des monumens publics, 22 nivôse an 2 (11 janvier 1794) ; Henri Grégoire, Troisième rapport sur le vandalisme, 24 frimaire an III (14 décembre 1794) ; François-Xavier Lanthenas, Discours sur les mesures du salut public, 27 fructidor an 2 (13 septembre 1794) ; La Révolution de 1792 ou Journal de la Convention nationale, n° 173 du 11 mars 1793) ; Joseph Lavallée, Voyage dans les départemens de la France, t. VI, 1794, p. 28.