mercredi 1 novembre 2023

Caste

Paris, 1789

Une recherche en ligne sur le mot « caste » dévoile une pléthore d’images de triangles segmentés en strates colorées, associées à diverses régions du monde. Des perspectives sociologiques utilisent les mêmes triangles pour mettre en évidence la nature hermétique des frontières qui séparent les différentes classes sociales. « Caste » appartient à la même famille que le verbe « châtier », lui-même issu du latin castigare, signifiant « corriger », dans le but de rendre quelque chose ou quelqu’un « pur » et « irréprochable ». La notion de pureté, présente aussi bien dans « chaste » que dans « caste » est centrale ; c’est d’elle que procède l’exclusion.

Emprunté au portugais casta  en 1659, « caste » n’est pas à proprement parler un mot de la Révolution. Il se rencontre fréquemment dans la littérature de voyage, notamment en référence à l’Inde, comme le souligne Prévost :

Caste, s. f. Nom que toutes les relations donnent aux races, ou aux tribus, dans lesquelles sont divisés les idolâtres des Indes orientales. La Caste des Bramines.

Coste d’Arnobat insiste sur l’impitoyable rigidité du système : « Un Indien sans caste, en un mot, semble ne plus appartenir à l’espèce humaine ».

Mais c’est en janvier de cette même année 1789 que « caste » trouve une application politique en France même, dans une note de bas de page du pamphlet Qu’est-ce que le Tiers-État ?, où l’abbé Sieyès justifie l’expression « la Caste des Nobles » :

C’est le vrai mot. Il désigne une classe d’hommes qui, sans fonctions, comme sans utilité, & par cela seul qu’ils existent, jouissent de privilèges attachés à leur personne. Sous ce point de vue, qui est le vrai, il n’y a qu’une Caste privilégiaire, celle de la Noblesse. C’est vraiment un peuple à part, mais un faux peuple, qui ne pouvant, à défaut d’organes utiles, exister par lui-même, s’attache à une Nation réelle, comme ces tumeurs végétales, qui ne peuvent vivre que de la sève des plantes qu’elles fatiguent et dessèchent […].

Dès lors, le mot, cessant d’être ressenti comme une métaphore exotique, et envahit le vocabulaire politique (en concurrence avec classe, dont les connotations sont moins négatives). Ainsi Louis-Marie Prudhomme, à propos des bâtards légitimés de Louis XIV :

Il résulte donc de ces principes que la famille royale est une caste séparée du souverain, choisie par lui, et du consentement libre de cette caste, pour fournir un roi à l’état. Une corrélation positive est entre tous les membres de l’un et de l’autre sexe de cette caste, relativement à l’état […].

Ou encore Jean-Paul Rabaut Saint-Étienne, à propos des droits des protestants :

C’est ainsi, Messieurs, qu’en France, au dix-huitième siècle, on a gardé la maxime des temps barbares, de diviser une nation en une caste favorisée, et une caste disgraciée ; qu’on a regardé comme un des progrès de la législation, qu’il fût permis à des Français, proscrits depuis cent ans, d’exercer leurs professions, c’est-à-dire, de vivre, et que leurs enfants ne fussent plus illégitimes.

Dans une France plus démocratique, « caste » demeure un outil linguistique commode et puissant pour dénoncer l’inégalité de l’origine sociale des détenteurs du pouvoir politique.

 

Sources : Antoine François Prévost, Manuel lexique, ou dictionnaire portatif des mots français dont la signification n’est pas familière à tout le monde, 1750 ; Pierre Nicolas Coste d’Arnobat, Voyage au pays de Bambouc, suivi d’observations intéressantes sur les castes indiennes, 1789, p. 83 ; Emmanuel Joseph Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-État ?, 1789, p. 12 ; Les Révolutions de Paris, n° 85, 19-26 février 1791, p. 320 ; Jean-Paul Rabaut Saint-Étienne, Discours à l’Assemblée nationale, 23 août 1789 ; Pierre Bourdieu, La Noblesse d’État, 1989.