Paris, 1797
De Thomas More à Sade (l'île de Tamoé), en passant par l’Histoire des Sévarambes, l’abolition de la propriété privée est courante dans les descriptions de sociétés idéales. Les Utopiens de More portent le produit de leur travail dans un magasin commun qui leur fournit ce dont ils ont besoin. La communauté des biens et diverses formes de vie collective continuent à être des idées centrales des utopies des Lumières, tandis que Jean Meslier (1664-1729), curé d’Étrépigny, dénonce l’abus que constitue « l'appropriation particulière que les hommes se font des biens et des richesses de la terre, au lieu qu'ils devraient tous également les posséder en commun et en jouir aussi également tous en commun ».
Mais les mots « communisme » (ou « comunisme ») et « communiste » n’apparaissent qu’en 1797 sous la plume de Restif de la Bretonne, dans la 18e partie de Monsieur Nicolas.
En quoi consisterait le communisme, ou la communauté ? A mettre en commun, dans chaque Cité, toute la surface de la Terre, pour être cultivée par ceux [que] l’Arrangement social ci-après aura dévolus à ce travail ; A mettre en comun tous les produits, tant des champs des vignes, des prairies, des bestiaux de toute espèce : que les produits des metiers, des arts et des sciences : Desorte que Tout le monde travaillât, come On travaille aujourd’hui, et que Chaqu’un profitât du travail de Tous ; Tous du travail de Chaqu’un : A mettre de-même en comun, les maisons. […]. De-même, à mettre en-comun les Enfans, qui tous recevraient la même éducacion dabord […]
Pour Monsieur Nicolas le communisme a existé dans les premiers temps de la fondation des sociétés humaines, quand les hommes étaient « encore républiquains et communistes », mais est désormais impossible :
Je sais bien qu’il est inutil de prêcher aux Homes le Communisme : Hâ ! trop de passions s’y oposent ! Les Meneurs du Genre-humain, les Égoïstes, les Riches, tous les Vicieus, ont trop d’intérêt à l’empêcher, pour que jamais il puisse se realiser ! Un Dieu ne l’établirait pas.
La page de titre du tome huit de Monsieur Nicolas affirme : « Ma Politique est principalement l’Histoire de ce qui vient d’arriver parmi Nous, pendant la Revolucion », mais est-il encore possible, sous le Directoire, de croire que la Révolution répond aux espoirs du Manifeste des Égaux ?
Plus de propriété individuelle des terres, la terre n'est à personne. Nous réclamons, nous voulons la jouissance communale des fruits de la terre : les fruits sont à tout le monde.
Sources : Thomas More, De optimo rei publicae statu, deque nova insula Utopia, 1516 ; Denis Vairasse, Histoire des Sévarambes, 1679 ; D.A.F. de Sade, Aline et Valcour, 1795 ; Mémoire des pensées et sentiments de Jean Meslier, II, p. 60-61 (manuscrit considérablement édulcoré par Voltaire sous le titre Testament du curé Meslier) ; Nicolas Edme Restif de la Bretonne, Monsieur Nicolas ; ou le cœur-humain dévoilé. Publié par lui-même, tome 8, mars 1795, p. 4326-4327 et 4386-4388 ; Sylvain Maréchal, Manifeste des Égaux, 1796
NB : le substantif « communiste » est antérieur à 1797, mais dans le sens juridique de co-bénéficiaire d’un chose commune (Claude François Brohart, Observations sur l’édit des hypothèques du mois de juin 1771, 1779)