Neuwied, 1791
« Cette machine infernale a été inventée par un nommé Guillot », écrit Louis de Beauclair en 1796. « Instrument de supplice, inventé ou perfectionné par un médecin nommé Guillotin pour trancher la tête par une opération entièrement mécanique », croit pouvoir corriger le Supplément du Dictionnaire de l'Académie de 1798. On sait pourtant que le docteur Joseph Ignace Guillotin n’a ni inventé, ni perfectionné la guillotine, laissant ce dernier soin à son confrère Antoine Louis. Le 10 octobre 1789, il en a préconisé l’emploi devant ses collègues de l’Assemblée nationale, pour des raisons à la fois humanitaires et démocratiques. Il a échappé de justesse au rasoir national et a passé les vingt dernières années de sa vie à demander qu’on efface ce néologisme du vocabulaire officiel, ce que ses enfants eux-mêmes n'obtinrent pas (on leur suggéra de changer leur propre nom). Mais de quand date exactement le mot guillotine ? quand a-t-il supplanté les éphémères sobriquets de « louison » ou « louisette » ?
La guillotine fut employée pour la première fois, le 25 avril 1792 par le bourreau Sanson pour décapiter en place de Grève un criminel de droit commun :
Celui qui a étrenné la guillotine, perfectionnée par M. Louis, a refusé toute consolation spirituelle. Il a juré et tempêté à la vue de cette nouvelle machine dont les préparatifs sont horribles. Il s’appelle Jean Nicolas Pelletier.
Avant cette date, le mot est rare, mais on le rencontre dans un couplet satirique anonyme publié en juin 1791 par la Correspondance littéraire secrète de Louis Mettra :
Ma foi je suis content, pour plus d’une raison
Qu’on ait, disait Regnaud, détruit la pendaison :
Ce nom seul fait trembler : vive la Guillotine !
Fi donc ! répond Chabroud ; la vilaine machine !
Moi, je tiens à la corde, et je veux y tenir,
En dépit du décret, jusqu’au dernier soupir.
L. S. Mercier prétend que « cette invention qui, en dispensant de se servir de la main du bourreau, a multiplié les exécutions et a favorisé peut-être plus que tout le reste la sanguinocratie des deux épouvantables comités », a d’abord été appelée coupe-tête.
Guillotiner est plus tardif. Pendant quelques mois on eut recours à des périphrases telles qu' « envoyer à la guillotine » ; tandis qu’être guillotiné était « éprouver le sort de la guillotine », « mourir par la guillotine », « expier sous le fer de la guillotine », « périr sous le couteau de la guillotine ». Mais en novembre 1792, Mettra prédit que le roi sera : « guillotiné ou massacré dans sa prison ». Admis par l'Académie au titre des Mots nouveaux en usage depuis la Révolution, le verbe suscite un curieux commentaire de Casanova :
Ce n'est pas le mot Guillotine qui fait rire, mais guillotiner, et guillotinade. Rire et faire rire, est la marotte de la nation française ; mais est-ce un indice de débonnaireté ou de cruauté atroce d’un esprit qui s’égaie à l’aspect de tout ce qui fait frémir l’humanité ?
Le Courier français du 10 octobre 1792 avait placé guillotinade dans la bouche de François Chabot à la tribune de la Convention. En 1793 apparaît guillotineur : « nouvelle moisson pour la guillotine et les guillotineurs » (Correspondance secrète).
Sources : P. L. de Beauclair, Cours de gallicismes, Francfort, 1796, 3e partie, p. 236 ; Correspondance littéraire secrète, Neuwied sur le Rhin, 28 avril 1792, 11 juin 1791, 23 novembre 1792, 1er août 1793 ; L. S. Mercier, Le Nouveau Paris, 1798, chap. 88 ; Jacques Casanova, docteur en droit de l’université de
Padoue, À Léonard Snetlage, 1797; Courrier français, 10 octobre 1792
Révolutions de Paris, n° 185, janvier 1793