vendredi 30 août 2024

Fanatisé

Gaffiot nous apprend que le fanum était un lieu consacré, un temple, et que fanaticus signifiait aussi bien « inspiré, rempli d’’enthousiasme » (chez Juvénal), qu’« exalté, en délire, frénétique » (chez Cicéron). En 1762, le Dictionnaire de l’Académie retient le second sens : « Fanatique : fou, extravagant, aliéné, qui croit avoir des apparitions, des inspirations. Il ne se dit guère qu’en fait de Religion ».

Quant à fanatiser, on le rencontre d’abord en 1706 sous la plume du jésuite François Catrou, mais au sens de « faire le fanatique » :

Les femmes entêtées de l’anabaptisme jouèrent aussi leur personnage. On les vit fanatiser dans les places publiques. Les unes élevaient les mains au ciel […], les autres montraient au doigt des monstres volants qu’elles se vantaient d’apercevoir en l’air.

C’est ainsi qu’il est reçu par le Dictionnaire de Trévoux en 1752 : « Une jeune fille fanatisa de si bonne grâce, qu’elle s’attira l’applaudissement des spectateurs ».

La Révolution voit une double évolution. D’abord le verbe devient transitif. Fanatiser signifie désormais « rendre fanatique ». « Les Basques ont des prêtres, et les prêtres se servent de leur idiome pour les fanatiser ». On est désormais fanatisé, comme l’avait été Jacques Clément, l’assassin d’Henri III « fanatisé et poussé au crime par le supérieur de son couvent ». L’assassin est lui-même une victime ; car, comme le remarque L.S. Mercier, pas de fanatisé sans un agent, le fanatiseur :

Le fanatiseur n’est point fanatique ; il n’est pas dans le délire religieux, mais il voudrait le faire passer dans des âmes faibles, ardentes et timorées, qu’il abuse par des idées dont le principe est d’ailleurs respectable.

Au même moment, le domaine du fanatisme s’étend à la politique. Tout en conservant sa vieille définition du fanatique, l’Académie ajoute en 1798 :

Il signifie plus ordinairement, qui est emporté par un zèle outré, violent et souvent cruel […] On dit par extension, de celui qui se passionne à l’excès pour un parti, pour une opinion, pour un auteur, etc., qu’il est fanatique de ce parti, de cette opinion, de cet auteur.

Dans la propagande contre-révolutionnaire, les fanatisés sont les victimes d’autres forces maléfiques que celle de l’Église. Les Mémoires du général Dumouriez citent le cas du maréchal de camp Ferrand qui, « quoique d’âge à ne plus se laisser fanatiser », était devenu « un des plus forts soutiens des anarchistes ».

Malgré Laharpe, qui voulait proscrire fanatiser pour l’étrange raison qu’ « aucun adjectif en ique ne peut produire un verbe en iser », ce néologisme fut reçu par l’Académie. Mais fanatisé est aujourd’hui un peu vieilli, ayant place à radicalisé. Fana n’a guère survécu aux sixties, même si le Le Fana de l’aviation continue de paraître mensuellement. Quant au fan, il se porte bien mais ne manifeste son excès d’enthousiasme que dans des domaines autres que celui de la religion et de la politique.

 

Félix Gaffiot, Dictionnaire illustré français-latin, 1934 ; François Catrou, Histoire des anabaptistes, 1706, p. 367-365 ; Dictionnaire de Trévoux, 5e édition, 1752 ; Pierre-Louis Guinguené, La Feuille villageoise, n° 19, 18 pluviôse an II ; Claude-Joseph Clos, Analyse raisonnée historique et critique des lois et usages primitifs du gouvernement des Francs, 1790 ; L.-S. Mercier, Néologie, ou vocabulaire de mots nouveaux, à renouveler, ou pris dans des acceptions nouvelles, 1801, tome 1 ; Dictionnaire de l’Académie, Supplément contenant les mots nouveaux en usage depuis la révolution, 1798 ; Mémoires du général Dumouriez écrits par lui-même, 1794, II, p.166 ; La Harpe, article « Langue française », L’Esprit de l’Encyclopédie, tome 6, an VIII, p. 317-318.

  

  Les convulsionnaires de Saint-Médard, vers 1730 (gravure du XIXe s.)