« Les Jeux qui se sont tenus de 1796 à 1798 à Paris représentent une étape négligée de l’histoire de l’olympisme », affirmait récemment un historien du sport. « La première République, imprégnée de culture antique et d’idées nouvelles sur les bienfaits du sport, organisa pendant trois ans des jeux publics à Paris. » Passons sur la très anachronique idée que la Révolution aurait été sensible aux mérites de l’exercice physique gratuit, c’est-à-dire du « sport », mot qui n’existait pas alors. De tels jeux ont-ils vraiment été organisés ? Où ? Quand ? Quelle eût été leur nature ?
Certes l’article XVI du décret instaurant le Calendrier républicain en novembre 1793 prévoyait que « tous les quatre ans, ou toutes les franciades, au jour de la révolution, il sera célébré des jeux républicains en mémoire de la révolution française » ; mais cette idée était restée lettre morte, comme le déplore Jean Debry, quatre ans plus tard, devant le conseil des Cinq-Cents :
J’avais proposé au Conseil, lors de la signature des préliminaires de paix, en floréal dernier, la formation d’une commission qui vous présentât un projet de fête quinquennale pour célébrer le jour où le sang humain aurait cessé de couler sur le continent. Je réitère cette proposition ; je demande que la commission soit complétée, et qu’elle vous présente ses vues immédiatement après la décision du Corps législatif sur le traité qui lui est soumis.
On comprend que pendant quatre années de guerre ininterrompue le projet de jeux républicains n’avait pas été une priorité de la Convention puis du Directoire. Debry fait ici allusion aux préliminaires de paix du traité de Leoben d’avril 1797 et prend la parole quelques jours après la signature du traité de Campo-Formio (octobre 1797).
Les franciades (ou sans-culottides) prévues par le décret de novembre 1793 devaient se tenir tous les quatre ans (à la manière des olympiades grecques) et plus précisément chaque année bissextile (comme nos jeux olympiques modernes). Il est étrange que Debry annonce une périodicité quinquennale. Il n’est désormais plus question de célébrer l’anniversaire de la Révolution mais l’avènement de la paix : la guerre sera remplacée par une manifestation pacifique, qui verra le triomphe de la France. Depuis sa retrait de Dux, le vieux Casanova dénonce ironiquement cette visée hautement politique :
Quelles fêtes ne pourra-t-on pas instituer pour faire que toute l'Europe y accoure. [Elles] inculqueront dans les esprits les principes de la bonne morale, et peu à peu à la fin tout le monde deviendra français.
Non seulement ces jeux n’eurent sans doute jamais lieu (l’abondante presse de l’époque n’en souffle mot) mais rien n’indique qu’il se serait agi d’épreuves physiques, ni même de compétition à la manière des jeux des Grecs ou du baron de Coubertin. La référence à l’agon grec n’est pas déterminante dans la conception révolutionnaire de la fête.
Dans sa Poétique des arts, le Lyonnais Jean-François Sobry (1743-1820), semble d’abord reprendre une vieille idée de Roger de Piles, qui consiste à attribuer aux peintres des notes de 1 à 20 dans les quatre domaines du dessin, du coloris, de la composition et de l’expression. Grâce à une « balance rectifiée », moins favorable aux coloristes, il parvient à un classement qui place Raphaël et Poussin premiers ex aequo avec 63 points, tandis que les 62 points de Lesueur lui valent la troisième marche du podium. Mais il finit par admettre la puérilité de sa tentative de quadrathlon de la peinture :
Aimons ce qui est beau, quand nous le voyons, sans nous embarrasser à le peser. Payons l’enthousiasme du talent par l’enthousiasme de l’estime ; et laissons les balances au marchand.
Dans un opuscule intitulé Programme des jeux gymniques, le même Sobry imagine des jeux qu’il entreprend « de faire revivre et de nationaliser, en leur créant un point central à Paris » ; mais il condamne les pratiques sportives des Anglais, jadis célébrées par Voltaire en visite à Londres (« Je me crus transporté aux jeux olympiques »), et dont la mode avait envahi la France après la guerre de Sept ans :
On ne renouvellera point, parmi ces jeux, ceux que les mœurs françaises réprouvent, tels que le ceste, le pugilat, et tout ce qui porte un caractère de cruauté et de férocité […]. Nous laissons aussi aux Anglais leurs boxeurs, leurs combats de coqs, et même leurs courses méthodiques et minutieuses, dont des parieurs passifs sont les invisibles agents.
Si les franciades de Paris 1796 avaient eu lieu, elles n’auraient pas eu grand-chose à voir avec Paris 2024, sinon sans doute l’ambition de faire de la capitale le centre du monde.
Sources : Jean-Yves Guillain, Le Monde, 25 juillet 2024 ; Journal des débats et des lois, 5 brumaire an VI ; Jacques Casanova, À Léonard Snetlage, 1797, entrée « Sansculottide », p. 80-81 ; J.-F. Sobry, Poétique des arts, 1810 ; Roger de Piles, Cours de peinture par principes, 1708 ; J.-F. Sobry, Programme des jeux gymniques, brumaire an VI (nov. 1797), 39 pages ; Voltaire, Lettre à M. sur l’Angleterre, 1727.