mercredi 8 octobre 2025

Vulgarité

Il fallut attendre 1878 pour que le mot « vulgarité » entre dans le Dictionnaire de l’Académie française :

Grossièreté, manque de distinction et de raffinement. Il est d’une grande vulgarité. La vulgarité de son comportement, de ses sentiments. La décoration de cette salle frappe par sa vulgarité.

La reconnaissance tardive d’une notion à la frontière de la morale et de l’esthétique doit beaucoup à une écrivaine au-dessus de tout soupçon de vulgarité : Anne-Louise-Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, laquelle en revendique même la maternité :

Je sais bien que ce mot la vulgarité n’avait pas encore été employé ; mais je le crois bon et nécessaire. Je développerai dans une note de la seconde partie de cet ouvrage quelles règles il me semble raisonnable d’adopter relativement aux mots nouveaux.

Ce néologisme est employé sept fois dans De la littérature […] (1799), où la vulgarité est considérée comme la conséquence inévitable de l’accès au pouvoir d’une nouvelle classe. Certes la Révolution a voulu éclairer une plus grande masse d’hommes mais « la vulgarité du langage, des manières, des opinions, doit faire rétrograder, à beaucoup d’égards, le goût et la raison ». Plus il y a aura d’hommes éclairés, plus ils seront vulgaires (du moins dans un premier temps) ; et d’une certaine façon moins ils seront éclairés.  En effet la vulgarité n’est d’abord que celle du langage, mais tout part du langage : « Les paroles grossières ou cruelles que des hommes en pouvoir se sont permises dans la conversation, devaient à la longue dépraver leur âme. » Si la distinction n’est pas la garantie d’une âme droite, son absence conduit à tous les excès. 

Quoi que la baronne en dise, elle n’est pas la première à avoir parlé de vulgarité, ce mot si nécessaire dont on s’était passé jusque-là. Tout au plus en a-t-elle détourné le sens pour lui donner la valeur péjorative qu’il a gardé jusqu’à aujourd’hui, pour en faire l’expression d’un mépris de classe.

En effet, bien avant elle, la critique littéraire parlait de la vulgarité d’une métaphore, pour dire qu’elle était usée, banale (Bibliothèque française, 1746) ; c’est le sens latin de vulgaritas chez Horace, par exemple. Dans un sens différent, en 1780, Rétif de la Bretonne se défend contre ceux qui lui reprochent « la vulgarité des personnages » des Contemporaines. Mais cette vulgarité, il la revendique. Rien de ce qui est humain ne doit rester étranger à la littérature. « Dans notre siècle plus que jamais, toutes les classes sont à considérer. »

Enfin, à l’aube de la Révolution, un certain Butot le jeune publie un Cours de morale, où il affirme que « ce qui établit et soutient réellement des souverains et des empires, c’est le caractère national, la vulgarité des vraies lumières ». Vulgarité a ici un autre sens encore, hélas perdu, qui n’a rien de dépréciatif. La vulgarité des lumières, c’est leur diffusion hors du cercle étroit des philosophes

 

Sources : Dictionnaire de l’Académie, 7e édition, 1878 ; G. de Staël, De la littérature, considérée dans ses rapports avec les institutions sociales [1799), 2e édition, 1800, Paris, Maradan, t. 2, p. 50 et 242-246 ; Rétif de la Bretonne, Les Contemporaines, « Réponse aux critiques », t. V, 1780 ; Butot, Cours de morale fondé sur la nature de l'homme, Londres, 1789, t. 2, p. 9.

 

 

"Portraits de madame de Staël", 1808 

 


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