Paris, 1788
Olympe de Gouges est considérée comme l’une des pionnières françaises du féminisme. Sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (septembre 1791) lui assure cette place de défenseure « du sexe supérieur en beauté comme en courage ». Avant de basculer dans le camp de la réaction et d’en payer le prix, Marie Gouze fut certainement une « citoyenne » courageuse et éclairée, à défaut d’être entièrement libre de préjugés aristocratiques de l’Ancien Régime. Elle a d’ailleurs puissamment contribué à mettre à la mode le mot citoyenne, avec sa Lettre au peuple, ou projet d’une caisse patriotique, par une citoyenne. L’a-t-elle inventé, comme on le lit parfois ?
Dès sa première édition (1694), le Dictionnaire de l’Académie semble admettre un féminin : « Citoyen, enne, s. » ; suivi d’une définition triplement restrictive :
Bourgeois, habitant d’une cité. Bon citoyen, riche citoyen ; sage citoyen. Il a fait le devoir d’un bon citoyen
Le citoyen est défini économiquement (bourgeois), géographiquement (une cité) et sexuellement (pas de « bonne citoyenne »). Pendant plus d’un siècle la définition ne change pas. En 1798, le citoyen est doté d’une dimension politique :
Le nom de Citoyen, dans une acception stricte et rigoureuse, se donne à l’habitant d’une Cité, d’Un État libre, qui a droit de suffrage dans les Assemblées publiques, et fait partie du Souverain.
Mais il reste « rigoureusement » masculin :
On dit, qu’Un homme est bon Citoyen, pour dire, que C’est un homme zélé pour sa Patrie.
Dès lors qu’on définit le citoyen par le droit de vote, il ne saurait y avoir de citoyenne. Le Supplément à cette 5e édition, « contenant les mots nouveaux en usage depuis la Révolution » ajoute une mise à jour :
CITOYEN, ENNE. subst. Nom commun à tous les François et autres individus des nations libres, qui jouissent des droits de Citoyen. C’est, relativement aux femmes, une simple qualification.
C’est-à-dire que « citoyenne » doit être suivi d’un nom propre : la citoyenne Gouges existe ; mais la « citoyenne » n’existe pas. Dans la 9e et dernière édition, le « citoyen, enne » est le
Ressortissant d’un État, qui y jouit de la plénitude des droits civils et politiques. La qualité de citoyen. Les droits et les devoirs du citoyen.
Plus de deux siècles après la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, toujours pas de citoyenne pour l’Académie.
Est-ce à dire que le substantif « citoyenne » est restée une pure possibilité qui ne s’est traduite par aucune actualisation dans la langue, sauf dans le titre de deux textes de Gouges, deux hapax de 1788 et 1791 ?
Deux exemples invitent à répondre par la négative. D’une part les citoyennes existaient déjà au théâtre. Par exemple, dès 1783 dans la comédie de Joseph Patrat intitulée La Résolution inutile. Julie, le personnage central (« fille de qualité, maîtresse d’elle-même ») est nommée « citoyenne » par tous les autres personnages, tour à tour : « Allez, jeune citoyenne, suivez les lois de la nature », « Citoyenne, je viens étendre et multiplier vos connaissance », « Bonjour, aimable citoyenne » … Simple effet comique ?
En 1768 était parue La Lettre d’une jeune citoyenne de Genève représentante à son frère, par laquelle ladite citoyenne reproche audit frère de l’avoir spoliée de son héritage. N’était-il donc de citoyenne que hors de France ?
Sources : Olympe de Gouges, Lettre au peuple, ou projet d’une caisse patriotique, par une citoyenne, 1788 ; Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791 ; Journal général de France, 6 novembre 1788 ; Dictionnaire de l’Académie française, 1re-9e éditions ; Joseph Patrat, La Résolution inutile, comédie en 1 acte, 1783 ; Lettre d’une jeune citoyenne de Genève représentante à son frère, 1768 (rééditée en 1782 sous le titre : Lettre d’une jeune citoyenne représentante à son frère).
C. L. Desrais et C. Frussotte, frontispice des
Remarques patriotiques, 1789 (détail)