samedi 25 février 2023

Alarmiste

Paris, 18 mars 1793

Aux yeux de Bertrand Barère, « l’Anacréon de la guillotine », député à la Constituante et membre de la Convention, les alarmistes constituent une « secte nouvelle » qui se réjouit du malheur de la patrie et se montre incrédule à l’égard de ses victoires.

Barère tient ces propos lors d’une séance de la Convention du 16 Floréal an II (5 mai 1794), rapportée par le Courrier de l’égalité. Il entend discréditer une catégorie de citoyens qui « crée des terreurs » et « propage des allarmes » : des contre-révolutionnaires*. La paternité du mot est attribuée à Barère par le Cousin Jacques, qui écrit en 1795 : « mot inventé par Barrère pour caractériser ceux qui répandent, à plaisir, des nouvelles allarmantes au sein des Révolutions. »

Or, les lecteurs du Bulletin des amis de la vérité avaient déjà rencontré le mot allarmistes en mars 1793 : « Izarn-Valady tombe dans le piège des allarmistes, saisit plus vivement cette terreur panique que les autres, et sort pour jetter l’allarme », ce qui prouve une origine antérieure à Barère ; ce que confirme le Petit Robert qui, sans davantage de précisions, donne la date de 1792.

Bien qu’il s’agisse d’un néologisme dans la langue française, les emprunts aux autres langues, notamment l’anglais, ne doivent pas être exclus. Dans un extrait du Dictionnaire politique de Charles Pigott paru en 1792 (le dictionnaire lui-même parut à titre posthume en 1795), une entrée Alarmist met en exergue l’effroi d’hommes politiques anglais, qualifiés de « misérables », face aux nouvelles venant de France, annonçant la chute de l’aristocratie et le succès de la Révolution.

Que ce soit pour Barère ou pour Pigott, les alarmistes agissent contre les intérêts de la patrie. Vils personnages, ils trahissent leur devoir patriotique en propageant les mensonges. Mais comment attirer l’attention sans être alarmiste ? Quand l’attention légitime se transforme-t-elle en une alarme contestée ? Les lecteurs avisés sauront sans doute trouver la réponse.

Sources : Courrier de l’égalité, 7 mai 1794 ; Beffroy de Reigny (dit le Cousin Jacques) Dictionnaire néologique des hommes et des choses ou notice alphabétique, 1795, s.v. Allarmiste ; Bulletin des amis de la vérité, 18 mars 1793.

 

https://www.francetvinfo.fr/, 24 juin 2021

samedi 18 février 2023

Débaptiser

 Paris, novembre 1793

Dans un chapitre de L’An 2440 intitulé « Le pont débaptisé », Louis Sébastien Mercier affirme que « rien n’influe plus sur l’esprit d’un peuple » que le nom des choses . C’est la première fois que « débaptiser » désigne une activité bientôt associée à la Révolution française.

Le projet le plus connu est sans doute celui que le ci-devant marquis de Sade présenta à sa section des Piques, en novembre 1793, afin de « changer le nom des rues qui portent des inscriptions proscrites, ignobles ou insignifiantes » : « La rue Saint-Lazare s’appellera : rue de Solon. Ce Grec fameux, ennemi des rois, qui refusa de l’être, qui donna des lois si sages à Athènes, doit être en inscription sur l’une des rues de Paris : chaque citoyen, en élevant les yeux, et voyant ce nom pour régler sa marche, se souviendra que les principes de celui qui le portait doivent aussi régler sa conduite. » Les changements ne se faisaient pas au coup par coup, mais résultaient d’une volonté systématique, dans le cadre d’une thématique romaine.

Las ! On fit remarquer que Cicéron, dont le nom était donné aux rues Baudrau et Trudon (« Que la mémoire de Cicéron nous enflamme, et nous apprenne à combattre les conspirateurs ») avait défendu le roi Déjotarus. Une note de Sade précise : « La Commune a désiré que le nom de Socrate fût mis à la place de celui de Cicéron, et l’assemblée a adhéré à ce changement ». Le projet de la section des Piques ne fut pas réalisé. Sade fut arrêté un mois plus tard, le 8 décembre 1793.

 

Sources : L. S. Mercier, L'An 2440, rêve s'il en fut jamais, 1770 ; Gilbert Lely, Vie du marquis de Sade, Jean-Jacques Pauvert éditions, 1982, p. 487

 

Jacques Louis David, La Mort de Socrate, 1787 (détail)