samedi 11 mars 2023

Cannibalisme

Londres, le 29 mai 1792

Dictionnaires et encyclopédies butent sur l’histoire du mot. L’article Cannibalisme de Wikipédia rappelle que Montaigne a consacré un chapitre des Essais aux cannibales des Caraïbes, mais ne s’occupe pas de la première occurrence du mot cannibalisme, ni des premiers emplois métaphoriques.

Quittons momentanément la France et rendons-nous à la Chambre des Communes à Londres, le 29 mai 1792. Edmund Burke s’en prend virulemment au docteur Joseph Priestley qu’il accuse d’être le chef d’une « secte » d’« ennemis jurés des loix ». Burke – aussitôt cité par le Journal historique et littéraire – dénonce la sympathie du docteur Priestley pour la « rébellion française » et dresse un portrait effrayant de celle-ci : « cruelle » et « sanguinaire », elle est « marquée par la perfidie, par l’assassinat, par le cannibalisme ! » Burke sait la force du mot. Il marque un temps d’arrêt avant de persister et signer :

…. Oui, le cannibalisme. …. Je sais que des cannibales français, après avoir arraché le cœur palpitant de leurs victimes, en ont pressé le sang dans le vin qu’ils ont avalé ! Et des Anglais célébreraient le 14 juillet, jour affreux ! Jour qui a privé la France de sa Religion, de son commerce, de son bonheur ; jour qui a flétri jusqu’au sol qui porte les Français !

Cet anglicisme se fraye bientôt un chemin en France. Brissot s’en sert, dès janvier 1793, afin de se démarquer de la fureur révolutionnaire. La Chronique du mois,  rapporte la dénonciation par le chef girondin de « l’hypocrisie » des meneurs*. Selon lui, des citoyens choisissent de devenir des

Cannibales pour être populaires, et par cette infâme dégradation, ils inspirent à la multitude un goût réel pour ce cannibalisme qu’ils n’affectent que par hypocrisie. Cette hypocrisie de cannibalisme est bien l’excès le plus monstrueux qu’ait enfanté la fureur de la popularité.

Ses Mémoires posthumes mettent en évidence l’esprit girondin, qui entend renouveler la révolution anglaise sans renouveler ses horreurs, à savoir la décapitation du roi :

ce trait ne me conciliera pas l’amitié de ces hommes qui font consister le patriotisme dans le cannibalisme, je ne faisais pas dans mon roman, décapiter mon captif ; après une rude leçon, je le chassais à jamais du territoire français.

Ainsi, le néologisme s’installe dans le discours politique français à partir de 1793. Il est souvent la réplique de la presse réactionnaire* qui se plaît à comparer les révolutionnaires à des cannibales. Sous la Convention thermidorienne (1794-1797), cannibalisme est synonyme de robespierrisme, aussi bien dans la presse de la droite que du centre. 

Sources : Journal historique et littéraire, 15 juin 1792 ; La Chronique du mois, t. 3, janvier 1793, p. 48 ; J. P. Brissot, Mémoires, Bruxelles, 1830, t. 1, p. 82. 

« Nous mangerons le monde et les Rois se tairont » 

Caricature anonyme, 1793-1794.