samedi 2 septembre 2023

Insurgé, insurrection

Paris, 1792

Attroupement, désordre, émeute, émotion populaire, révolte, sédition, soulèvement, trouble, tumulte… la façon dont est désigné le refus populaire d’une loi ou d’un pouvoir en place est primordiale : elle dit son ampleur et décide de sa légitimité. Tout au long du XVIIIe siècle, la presse n’a pas manqué de mots pour stigmatiser les acteurs de ces mouvements :  bandits, coquins, factieux, malfaiteurs, malheureux, mutins, perturbateurs de l’ordre public, pillards, rebelles et séditieux. La Révolution française ajoute deux mots à ce riche lexique : insurrection et insurgé.

L’adjectif insurgé, pour qualifier le peuple, apparaît sous la plume du Bon-Homme Jérôme, dont le Réveil de Louis XVI dresse en 1792 le portrait d’une classe éclairée et amie de l’ordre mais dépassée par les événements : les royalistes « trop sages pour ne pas sentir combien il est impossible de lutter de front contre la violence impétueuse de l’opinion de tout un Peuple insurgé ». Trois ans plus tard le Nouveau Dictionnaire Français de Snetlage donne une valeur plus positive à l’insurrection : « Elle est aussi éloignée de la révolte, que de la mutinerie, qui sont des actes de rébellion contre les lois légitimes et contre les autorités constituées et qui ne sont que l’effet de l’égarement de la Populace. » Car l’insurrection se pare du prestige de son origine :

Cette expression toute nouvelle dans la langue française doit sa naissance à l’anglais insurrection de l’Amérique-Septentrionale. Elle vient du latin insurgere s’élever contre et signifie la levée d’un Peuple entier en masse contre les excès de l’oppression.

Contrairement à la révolte ou à la mutinerie, l’insurrection est générale. Le mot fut pendant quelque temps en concurrence avec celui de révolution par exemple dans le titre du pamphlet anti-révolutionnaire d’Alexandre de Beaunoir : Histoire secrète et anecdotique de l’insurrection belgique, 1790.

La 5e édition du Dictionnaire de l’Académie, définit s’insurger (se soulever contre) et insurrection,  de façon neutre, plus historique que critique :

* Action de s’insurger. L’usage de ce mot, borné d’abord à la Pologne, s’est étendu depuis aux Colonies Angloises, et successivement à la France, etc.

En revanche, insurgé (adjectif ou substantif) est absent. Il a pourtant été abondamment employé pendant toute la décennie révolutionnaire, tant par la presse de gauche que celle de droite. L’insurrection est un droit (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 24 juin 1793, article XXXV et dernier), mais l’insurgé reste sinon suspect du moins indéfinissable.

 

Sources : Bon-Homme Jérôme, Le Réveil de Louis XVI, ou Les matinées secrettes des Thuileries, 1792, 5e matinée, p. 158 ; Dictionnaire de l’Académie, 5e éd., 1798 : Supplément contenant les mots nouveaux en usage depuis la Révolution ; Léonard Snetlage, Nouveau Dictionnaire Français, 1795 ; Alexandre Louis Bertrand Robineau, dit de Beaunoir, Histoire secrète et anecdotique de l’insurrection belgique, 1790.


Insurrection du 10 août 1792