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Chaque semaine, ou presque, tour à tour, l'Observateur et le Gazetier examinent un des "mots nouveaux que la Révolution française, plus féconde qu'une académie, a fait éclore".
Coppet, 1799
Il fallut attendre 1878 pour que le mot « vulgarité » entre dans le Dictionnaire de l’Académie française :
Grossièreté, manque de distinction et de raffinement. Il est d’une grande vulgarité. La vulgarité de son comportement, de ses sentiments. La décoration de cette salle frappe par sa vulgarité.
La reconnaissance tardive d’une notion à la frontière de la morale et de l’esthétique doit beaucoup à une écrivaine au-dessus de tout soupçon de vulgarité : Anne-Louise-Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, laquelle en revendique même la maternité :
Je sais bien que ce mot la vulgarité n’avait pas encore été employé ; mais je le crois bon et nécessaire. Je développerai dans une note de la seconde partie de cet ouvrage quelles règles il me semble raisonnable d’adopter relativement aux mots nouveaux.
Ce néologisme est employé sept fois dans De la littérature […] (1799), où la vulgarité est considérée comme la conséquence inévitable de l’accès au pouvoir d’une nouvelle classe. Certes la Révolution a voulu éclairer une plus grande masse d’hommes mais « la vulgarité du langage, des manières, des opinions, doit faire rétrograder, à beaucoup d’égards, le goût et la raison ». Plus il y a aura d’hommes éclairés, plus ils seront vulgaires (du moins dans un premier temps) ; et d’une certaine façon moins ils seront éclairés. En effet la vulgarité n’est d’abord que celle du langage, mais tout part du langage : « Les paroles grossières ou cruelles que des hommes en pouvoir se sont permises dans la conversation, devaient à la longue dépraver leur âme. » Si la distinction n’est pas la garantie d’une âme droite, son absence conduit à tous les excès.
Quoi que la baronne en dise, elle n’est pas la première à avoir parlé de vulgarité, ce mot si nécessaire dont on s’était passé jusque-là. Tout au plus en a-t-elle détourné le sens pour lui donner la valeur péjorative qu’il a gardé jusqu’à aujourd’hui, pour en faire l’expression d’un mépris de classe.
En effet, bien avant elle, la critique littéraire parlait de la vulgarité d’une métaphore, pour dire qu’elle était usée, banale (Bibliothèque française, 1746) ; c’est le sens latin de vulgaritas chez Horace, par exemple. Dans un sens différent, en 1780, Rétif de la Bretonne se défend contre ceux qui lui reprochent « la vulgarité des personnages » des Contemporaines. Mais cette vulgarité, il la revendique. Rien de ce qui est humain ne doit rester étranger à la littérature. « Dans notre siècle plus que jamais, toutes les classes sont à considérer. »
Enfin, à l’aube de la Révolution, un certain Butot le jeune publie un Cours de morale, où il affirme que « ce qui établit et soutient réellement des souverains et des empires, c’est le caractère national, la vulgarité des vraies lumières ». Vulgarité a ici un autre sens encore, hélas perdu, qui n’a rien de dépréciatif. La vulgarité des lumières, c’est leur diffusion hors du cercle étroit des philosophes
Sources : Dictionnaire de l’Académie, 7e édition, 1878 ; G. de Staël, De la littérature, considérée dans ses rapports avec les institutions sociales [1799), 2e édition, 1800, Paris, Maradan, t. 2, p. 50 et 242-246 ; Rétif de la Bretonne, Les Contemporaines, « Réponse aux critiques », t. V, 1780 ; Butot, Cours de morale fondé sur la nature de l'homme, Londres, 1789, t. 2, p. 9.
"Portraits de madame de Staël", 1808
Paris, 1788
Olympe de Gouges est considérée comme l’une des pionnières françaises du féminisme. Sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (septembre 1791) lui assure cette place de défenseure « du sexe supérieur en beauté comme en courage ». Avant de basculer dans le camp de la réaction et d’en payer le prix, Marie Gouze fut certainement une « citoyenne » courageuse et éclairée, à défaut d’être entièrement libre de préjugés aristocratiques de l’Ancien Régime. Elle a d’ailleurs puissamment contribué à mettre à la mode le mot citoyenne, avec sa Lettre au peuple, ou projet d’une caisse patriotique, par une citoyenne. L’a-t-elle inventé, comme on le lit parfois ?
Dès sa première édition (1694), le Dictionnaire de l’Académie semble admettre un féminin : « Citoyen, enne, s. » ; suivi d’une définition triplement restrictive :
Bourgeois, habitant d’une cité. Bon citoyen, riche citoyen ; sage citoyen. Il a fait le devoir d’un bon citoyen
Le citoyen est défini économiquement (bourgeois), géographiquement (une cité) et sexuellement (pas de « bonne citoyenne »). Pendant plus d’un siècle la définition ne change pas. En 1798, le citoyen est doté d’une dimension politique :
Le nom de Citoyen, dans une acception stricte et rigoureuse, se donne à l’habitant d’une Cité, d’Un État libre, qui a droit de suffrage dans les Assemblées publiques, et fait partie du Souverain.
Mais il reste « rigoureusement » masculin :
On dit, qu’Un homme est bon Citoyen, pour dire, que C’est un homme zélé pour sa Patrie.
Dès lors qu’on définit le citoyen par le droit de vote, il ne saurait y avoir de citoyenne. Le Supplément à cette 5e édition, « contenant les mots nouveaux en usage depuis la Révolution » ajoute une mise à jour :
CITOYEN, ENNE. subst. Nom commun à tous les François et autres individus des nations libres, qui jouissent des droits de Citoyen. C’est, relativement aux femmes, une simple qualification.
C’est-à-dire que « citoyenne » doit être suivi d’un nom propre : la citoyenne Gouges existe ; mais la « citoyenne » n’existe pas. Dans la 9e et dernière édition, le « citoyen, enne » est le
Ressortissant d’un État, qui y jouit de la plénitude des droits civils et politiques. La qualité de citoyen. Les droits et les devoirs du citoyen.
Plus de deux siècles après la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, toujours pas de citoyenne pour l’Académie.
Est-ce à dire que le substantif « citoyenne » est restée une pure possibilité qui ne s’est traduite par aucune actualisation dans la langue, sauf dans le titre de deux textes de Gouges, deux hapax de 1788 et 1791 ?
Deux exemples invitent à répondre par la négative. D’une part les citoyennes existaient déjà au théâtre. Par exemple, dès 1783 dans la comédie de Joseph Patrat intitulée La Résolution inutile. Julie, le personnage central (« fille de qualité, maîtresse d’elle-même ») est nommée « citoyenne » par tous les autres personnages, tour à tour : « Allez, jeune citoyenne, suivez les lois de la nature », « Citoyenne, je viens étendre et multiplier vos connaissance », « Bonjour, aimable citoyenne » … Simple effet comique ?
En 1768 était parue La Lettre d’une jeune citoyenne de Genève représentante à son frère, par laquelle ladite citoyenne reproche audit frère de l’avoir spoliée de son héritage. N’était-il donc de citoyenne que hors de France ?
Sources : Olympe de Gouges, Lettre au peuple, ou projet d’une caisse patriotique, par une citoyenne, 1788 ; Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791 ; Journal général de France, 6 novembre 1788 ; Dictionnaire de l’Académie française, 1re-9e éditions ; Joseph Patrat, La Résolution inutile, comédie en 1 acte, 1783 ; Lettre d’une jeune citoyenne de Genève représentante à son frère, 1768 (rééditée en 1782 sous le titre : Lettre d’une jeune citoyenne représentante à son frère).
C. L. Desrais et C. Frussotte, frontispice des
Remarques patriotiques, 1789 (détail)