samedi 30 septembre 2023

Vandalisme

 Janvier 1794

L’Encyclopédie nous apprend que les Vandales étaient « une nation barbare faisant partie de celle des Goths, & qui, comme cette derniere, étoit venue de Scandinavie. » Elle harassa les Romains pendant au moins cinq siècles depuis le temps d’Auguste jusqu’en 455, quand « Genseric vint en Italie où il prit & pilla la ville de Rome. » Elle infesta les vallées du Rhin et du Danube, le Moyen Orient, l’Espagne, l’Italie, l’Afrique du Nord, sans s’établir durablement nulle part. D’ailleurs, « le nom des Vandales vient du mot gothique vandelen qui signifie encore aujourd’hui en allemand errer ». Sans marquer de sympathie pour les Vandales, Jaucourt ne dit pas qu’ils aient été plus destructeurs que les Sueves ou les Alains. Pourtant, de tous les Goths, ce sont eux qui ont la plus détestable réputation et le Supplément du Dictionnaire de l’Académie de 1798 peut définir « Vandalisme : Système, régime destructifs des Sciences et des Arts, par allusion aux Vandales » ?

Aujourd’hui, le vandalisme n’est plus un « système ». Selon la définition légale ou administrative, c’est « le fait de porter atteinte volontairement aux biens privés ou publics sans motif légitime ». Qu’est-ce qu’un motif légitime ? d’autre part, si vous incendiez la cathédrale de Nantes, vous ne serez pas jugé pour vandalisme. Le vandalisme ne semble plus caractériser que des dégradations de faible ampleur, quels qu’en soient les motifs. Mais c’est à un phénomène de grande ampleur que s’attaqua l’abbé Grégoire en 1794.

Dès janvier, il présente un rapport du comité d’instruction attirant l’attention sur la question particulière des inscriptions des monuments publics : « L’on ne peut inspirer aux citoyens trop d’horreur pour ce vandalisme qui ne connaît que la destruction » ; mais le rapport accepte celle de tout ce qui porte « l’empreinte du royalisme et de la féodalité ». Tout au long de l’année, Grégoire élargit le champ de la notion. En décembre, le Troisième Rapport sur le vandalisme s’inquiète du sort des monuments, essentiels « au bonheur social », mais déplore aussi celui des hommes à talents incarcérés ou guillotinés. Une année « a failli détruire le produit de plusieurs siècles de civilisation. »

En septembre, François-Xavier Lanthenas renchérit sur la gravité du fléau : « Le vandalisme n’est pas moins redoutable pour la liberté, que la Vendée même et tous les satellites des puissances coalisées ». C’est que vandalisme a pris alors un sens politique pour désigner tous les excès de la Terreur. Avant même que Grégoire ne popularise le substantif, l’adjectif vandalique appartient au vocabulaire contre-révolutionnaire : La Révolution de 1792 du 11 mars 1793 dénonçait les satrapes de Robespierre qui « ont fait une irruption Vandalique sur les bureaux de Brissot, de Gorsas, de Nicole et de Garneri, éditeur de la Chronique de Paris ».

Mais Joseph Lavallée, à l’occasion d’une visite à Poitiers, contre-attaque et soutient que les vrais barbares ne sont pas ceux que l’on croit :

L’histoire s’extasie sur les affronts innombrables que les hordes barbares et les Sarrasins ont fait éprouver aux arts ; mais on ne dit pas que le catholicisme est un vandalisme bien plus désastreux, qui , depuis seize siècles ronge sans pitié tout ce que l’antiquité avait semé sur la terre pour la leçon de l’humanité. Les Goths, les Teutons, les Grotonges, etc., ont renversé des monuments ; mais l’église a mieux fait, elle les a défigurés.

 

Sources : Henri Grégoire, Rapport sur les inscriptions des monumens publics, 22 nivôse an 2 (11 janvier 1794) ; Henri Grégoire, Troisième rapport sur le vandalisme, 24 frimaire an III (14 décembre 1794) ; François-Xavier Lanthenas, Discours sur les mesures du salut public, 27 fructidor an 2 (13 septembre 1794) ; La Révolution de 1792 ou Journal de la Convention nationale, n° 173 du 11 mars 1793) ; Joseph Lavallée, Voyage dans les départemens de la France, t. VI, 1794, p. 28.

 

 

dimanche 24 septembre 2023

Révolutionnaire

 Paris, été 1790

On sait qu’avant la Révolution, le mot révolution désignait soit le « retour d’un astre au même point dont il était parti », soit un « mouvement extraordinaire dans les humeurs ; qui altère la santé ». Figurément, c’était « un changement qui arrive dans les affaires publiques » (Académie, 1762). D’où une certaine ambiguïté : selon que l’on estime la métaphore astronomique ou médicale, une révolution est le rétablissement (salutaire) d’un ordre originel, ou une maladie (dangereuse).

En 1798, la 5e édition du Dictionnaire de l’Académie précise le contexte historique :

Quand on dit la Révolution, en parlant de l’histoire [d’un] pays, on désigne la plus mémorable, celle qui a amené un autre ordre. Ainsi, en parlant de l’Angleterre, la Révolution désigne celle de 1688 ; en parlant de la Suède, celle de 1772.

La Révolution française ne figure pas dans cette liste des bouleversements politiques dignes de mémoire.

Si la mot révolution est ancien, révolutionnaire (substantif ou adjectif) n’est défini que dans le Supplément contenant les mots nouveaux en usage depuis la révolution :

Révolutionnaire, s. m. Ami de la Révolution.

Révolutionnaire, adjectif. Qui appartient à la Révolution qui est conforme aux principes de la Révolution, qui est propre à en accélérer les progrès, etc. Mesures révolutionnaires. Gouvernement révolutionnaire.

Ledit Supplément ajoute le verbe révolutionner : « mettre en état de révolution ; introduire les principes révolutionnaires dans… »

Révolutionnaire est donc un mot de la Révolution, mais quand est-il précisément apparu ? Nous n’en avons pas trouvé de trace en 1789, ni dans les premiers mois de 1790. Le 11 septembre 1790, à la tribune de l’Assemblée nationale, Mirabeau s’exclame : « Conspiration pour conspiration, supplice pour supplice, j’aime mieux mourir martyr révolutionnaire que martyr contre révolutionnaire ». Quelques jours plus tôt, Camille Desmoulins avait reproché à Joseph-Antoine Cerutti de diviser la nation en trois classes :

les révolutionnaires, les constitutionnaires et les brigands, faisant des révolutionnaires et des brigands, les deux extrêmes également coupables, n’appelant constitutionnaires que ceux qui veulent la constitution comme M. Necker.

En décembre de la même année, révolutionnaire est enfin promu sans équivoque au rang de qualificatif élogieux. Desmoulins salue le décret exigeant que les évêques fassent serment de maintenir la constitution : « il mérite d’être consigné dans ces révolutions, parce qu’il est véritablement révolutionnaire ».

 

Sources : Journal des départements, districts et municipalités, n° 54 du 17 septembre 1790 ; Révolutions de France et de Brabant, n° 40 (août 1790) et n° 54 (décembre 1790), p. 82.

 

                                                                 Desmoulins et Mirabeau

samedi 2 septembre 2023

Insurgé, insurrection

Paris, 1792

Attroupement, désordre, émeute, émotion populaire, révolte, sédition, soulèvement, trouble, tumulte… la façon dont est désigné le refus populaire d’une loi ou d’un pouvoir en place est primordiale : elle dit son ampleur et décide de sa légitimité. Tout au long du XVIIIe siècle, la presse n’a pas manqué de mots pour stigmatiser les acteurs de ces mouvements :  bandits, coquins, factieux, malfaiteurs, malheureux, mutins, perturbateurs de l’ordre public, pillards, rebelles et séditieux. La Révolution française ajoute deux mots à ce riche lexique : insurrection et insurgé.

L’adjectif insurgé, pour qualifier le peuple, apparaît sous la plume du Bon-Homme Jérôme, dont le Réveil de Louis XVI dresse en 1792 le portrait d’une classe éclairée et amie de l’ordre mais dépassée par les événements : les royalistes « trop sages pour ne pas sentir combien il est impossible de lutter de front contre la violence impétueuse de l’opinion de tout un Peuple insurgé ». Trois ans plus tard le Nouveau Dictionnaire Français de Snetlage donne une valeur plus positive à l’insurrection : « Elle est aussi éloignée de la révolte, que de la mutinerie, qui sont des actes de rébellion contre les lois légitimes et contre les autorités constituées et qui ne sont que l’effet de l’égarement de la Populace. » Car l’insurrection se pare du prestige de son origine :

Cette expression toute nouvelle dans la langue française doit sa naissance à l’anglais insurrection de l’Amérique-Septentrionale. Elle vient du latin insurgere s’élever contre et signifie la levée d’un Peuple entier en masse contre les excès de l’oppression.

Contrairement à la révolte ou à la mutinerie, l’insurrection est générale. Le mot fut pendant quelque temps en concurrence avec celui de révolution par exemple dans le titre du pamphlet anti-révolutionnaire d’Alexandre de Beaunoir : Histoire secrète et anecdotique de l’insurrection belgique, 1790.

La 5e édition du Dictionnaire de l’Académie, définit s’insurger (se soulever contre) et insurrection,  de façon neutre, plus historique que critique :

* Action de s’insurger. L’usage de ce mot, borné d’abord à la Pologne, s’est étendu depuis aux Colonies Angloises, et successivement à la France, etc.

En revanche, insurgé (adjectif ou substantif) est absent. Il a pourtant été abondamment employé pendant toute la décennie révolutionnaire, tant par la presse de gauche que celle de droite. L’insurrection est un droit (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 24 juin 1793, article XXXV et dernier), mais l’insurgé reste sinon suspect du moins indéfinissable.

 

Sources : Bon-Homme Jérôme, Le Réveil de Louis XVI, ou Les matinées secrettes des Thuileries, 1792, 5e matinée, p. 158 ; Dictionnaire de l’Académie, 5e éd., 1798 : Supplément contenant les mots nouveaux en usage depuis la Révolution ; Léonard Snetlage, Nouveau Dictionnaire Français, 1795 ; Alexandre Louis Bertrand Robineau, dit de Beaunoir, Histoire secrète et anecdotique de l’insurrection belgique, 1790.


Insurrection du 10 août 1792