Paris, 9 octobre 1794
La 5e édition du Dictionnaire de l’Académie française, publiée en l’an VII, est précédée d’une curieuse préface qui s’évertue à prouver que malgré les apparences cette académie a « le plus contribué au changement de l’esprit monarchique en esprit républicain ». Réciproquement, il est naturel et indispensable « d’ajouter à ce dictionnaire les morts que la Révolution et la République ont ajoutés à la langue ». « C’est ce qu’on a fait dans un Appendice. On s’est adressé, pour ce nouveau travail à des hommes de lettres, que l’Académie française aurait reçus parmi ses Membres » si elle n’avait été supprimée. Il s’agit d’un supplément comprenant, entre « Acclamation » et « Vociférer », environ 400 mots tant nouveaux que désormais pourvus d’une nouvelle acception. Parmi les premiers, « Terroriste. subs. masc. Agent ou partisan du régime de la Terreur qui avait lieu par l’abus des mesures révolutionnaires. »
« C’est Tallien qui inventa le nom », affirme La Quotidienne du 8 décembre 1795, à propos d’un mot qui s’était répandu dans la presse pendant toute l’année, dès janvier dans le Courrier patriotique de l’Isère, l’Ami du peuple (de Chasles et Lebois), les Nouvelles politiques nationales et étrangères et le Courrier de l’égalité. Quel rôle Jean Lambert Tallien a-t-il exactement joué dans cette affaire ? Membre de la Commune insurrectionnelle de Paris, apologiste des massacres de Septembre, conventionnel montagnard régicide, représentant en mission à Bordeaux (où il rencontre la belle et suspecte Thérésa Cabarrus), il est bientôt soupçonné de modérantisme, il participe à la chute de Robespierre et devient un des chefs de la réaction thermidorienne. Il est aussi le fondateur en 1791 de l’Ami des citoyens, dont il est encore le rédacteur quand paraît le n° XV du 15 brumaire an III (5 novembre 1794), qui évoque une conjuration non moins dangereuse que celle du fédéralisme : « la faction terroriste ». Dix jours plus tard, la même feuille reproche à Bertrand Barère d’avoir été tour à tour « aristocrate, jacobin, feuillant, patriote, modéré, anti-Robespierre, terroriste, robespierriste » . C’est en effet Barère qui, le 5 septembre 1793, avait demandé et obtenu que l’on mît la « Terreur à l’ordre du jour »
L’Orateur du peuple de Louis-Marie Stanislas Fréron, autre jacobin renégat, avait devancé l’Ami des citoyens de quelques semaines en dénonçant la « faction terroriste » dans son n° 14 du 18 vendémiaire an III (9 octobre 1794). Quoi qu’il en soit « terroriste » est clairement un néologisme thermidorien. Ce qui nous permet par exemple de révoquer en doute la date de 1793 attribuée par Google Livres à une brochure intitulée Tableau des crimes du comité révolutionnaire de Moulins, où un certain Desmazures est traité d’ « ardent terroriste ». Le substantif « terrorisme » suivit bientôt (dès janvier 1795), auquel le Supplément du Nouveau Dictionnaire de la langue française et allemande de Schwan (1798) ajouta le verbe « terroriser ».