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Chaque semaine, ou presque, tour à tour, l'Observateur et le Gazetier examinent un des "mots nouveaux que la Révolution française, plus féconde qu'une académie, a fait éclore".
Gaffiot nous apprend que le fanum était un lieu consacré, un temple, et que fanaticus signifiait aussi bien « inspiré, rempli d’’enthousiasme » (chez Juvénal), qu’« exalté, en délire, frénétique » (chez Cicéron). En 1762, le Dictionnaire de l’Académie retient le second sens : « Fanatique : fou, extravagant, aliéné, qui croit avoir des apparitions, des inspirations. Il ne se dit guère qu’en fait de Religion ».
Quant à fanatiser, on le rencontre d’abord en 1706 sous la plume du jésuite François Catrou, mais au sens de « faire le fanatique » :
Les femmes entêtées de l’anabaptisme jouèrent aussi leur personnage. On les vit fanatiser dans les places publiques. Les unes élevaient les mains au ciel […], les autres montraient au doigt des monstres volants qu’elles se vantaient d’apercevoir en l’air.
C’est ainsi qu’il est reçu par le Dictionnaire de Trévoux en 1752 : « Une jeune fille fanatisa de si bonne grâce, qu’elle s’attira l’applaudissement des spectateurs ».
La Révolution voit une double évolution. D’abord le verbe devient transitif. Fanatiser signifie désormais « rendre fanatique ». « Les Basques ont des prêtres, et les prêtres se servent de leur idiome pour les fanatiser ». On est désormais fanatisé, comme l’avait été Jacques Clément, l’assassin d’Henri III « fanatisé et poussé au crime par le supérieur de son couvent ». L’assassin est lui-même une victime ; car, comme le remarque L.S. Mercier, pas de fanatisé sans un agent, le fanatiseur :
Le fanatiseur n’est point fanatique ; il n’est pas dans le délire religieux, mais il voudrait le faire passer dans des âmes faibles, ardentes et timorées, qu’il abuse par des idées dont le principe est d’ailleurs respectable.
Au même moment, le domaine du fanatisme s’étend à la politique. Tout en conservant sa vieille définition du fanatique, l’Académie ajoute en 1798 :
Il signifie plus ordinairement, qui est emporté par un zèle outré, violent et souvent cruel […] On dit par extension, de celui qui se passionne à l’excès pour un parti, pour une opinion, pour un auteur, etc., qu’il est fanatique de ce parti, de cette opinion, de cet auteur.
Dans la propagande contre-révolutionnaire, les fanatisés sont les victimes d’autres forces maléfiques que celle de l’Église. Les Mémoires du général Dumouriez citent le cas du maréchal de camp Ferrand qui, « quoique d’âge à ne plus se laisser fanatiser », était devenu « un des plus forts soutiens des anarchistes ».
Malgré Laharpe, qui voulait proscrire fanatiser pour l’étrange raison qu’ « aucun adjectif en ique ne peut produire un verbe en iser », ce néologisme fut reçu par l’Académie. Mais fanatisé est aujourd’hui un peu vieilli, ayant place à radicalisé. Fana n’a guère survécu aux sixties, même si le Le Fana de l’aviation continue de paraître mensuellement. Quant au fan, il se porte bien mais ne manifeste son excès d’enthousiasme que dans des domaines autres que celui de la religion et de la politique.
Félix Gaffiot, Dictionnaire illustré français-latin, 1934 ; François Catrou, Histoire des anabaptistes, 1706, p. 367-365 ; Dictionnaire de Trévoux, 5e édition, 1752 ; Pierre-Louis Guinguené, La Feuille villageoise, n° 19, 18 pluviôse an II ; Claude-Joseph Clos, Analyse raisonnée historique et critique des lois et usages primitifs du gouvernement des Francs, 1790 ; L.-S. Mercier, Néologie, ou vocabulaire de mots nouveaux, à renouveler, ou pris dans des acceptions nouvelles, 1801, tome 1 ; Dictionnaire de l’Académie, Supplément contenant les mots nouveaux en usage depuis la révolution, 1798 ; Mémoires du général Dumouriez écrits par lui-même, 1794, II, p.166 ; La Harpe, article « Langue française », L’Esprit de l’Encyclopédie, tome 6, an VIII, p. 317-318.
« Les Jeux qui se sont tenus de 1796 à 1798 à Paris représentent une étape négligée de l’histoire de l’olympisme », affirmait récemment un historien du sport. « La première République, imprégnée de culture antique et d’idées nouvelles sur les bienfaits du sport, organisa pendant trois ans des jeux publics à Paris. » Passons sur la très anachronique idée que la Révolution aurait été sensible aux mérites de l’exercice physique gratuit, c’est-à-dire du « sport », mot qui n’existait pas alors. De tels jeux ont-ils vraiment été organisés ? Où ? Quand ? Quelle eût été leur nature ?
Certes l’article XVI du décret instaurant le Calendrier républicain en novembre 1793 prévoyait que « tous les quatre ans, ou toutes les franciades, au jour de la révolution, il sera célébré des jeux républicains en mémoire de la révolution française » ; mais cette idée était restée lettre morte, comme le déplore Jean Debry, quatre ans plus tard, devant le conseil des Cinq-Cents :
J’avais proposé au Conseil, lors de la signature des préliminaires de paix, en floréal dernier, la formation d’une commission qui vous présentât un projet de fête quinquennale pour célébrer le jour où le sang humain aurait cessé de couler sur le continent. Je réitère cette proposition ; je demande que la commission soit complétée, et qu’elle vous présente ses vues immédiatement après la décision du Corps législatif sur le traité qui lui est soumis.
On comprend que pendant quatre années de guerre ininterrompue le projet de jeux républicains n’avait pas été une priorité de la Convention puis du Directoire. Debry fait ici allusion aux préliminaires de paix du traité de Leoben d’avril 1797 et prend la parole quelques jours après la signature du traité de Campo-Formio (octobre 1797).
Les franciades (ou sans-culottides) prévues par le décret de novembre 1793 devaient se tenir tous les quatre ans (à la manière des olympiades grecques) et plus précisément chaque année bissextile (comme nos jeux olympiques modernes). Il est étrange que Debry annonce une périodicité quinquennale. Il n’est désormais plus question de célébrer l’anniversaire de la Révolution mais l’avènement de la paix : la guerre sera remplacée par une manifestation pacifique, qui verra le triomphe de la France. Depuis sa retrait de Dux, le vieux Casanova dénonce ironiquement cette visée hautement politique :
Quelles fêtes ne pourra-t-on pas instituer pour faire que toute l'Europe y accoure. [Elles] inculqueront dans les esprits les principes de la bonne morale, et peu à peu à la fin tout le monde deviendra français.
Non seulement ces jeux n’eurent sans doute jamais lieu (l’abondante presse de l’époque n’en souffle mot) mais rien n’indique qu’il se serait agi d’épreuves physiques, ni même de compétition à la manière des jeux des Grecs ou du baron de Coubertin. La référence à l’agon grec n’est pas déterminante dans la conception révolutionnaire de la fête.
Dans sa Poétique des arts, le Lyonnais Jean-François Sobry (1743-1820), semble d’abord reprendre une vieille idée de Roger de Piles, qui consiste à attribuer aux peintres des notes de 1 à 20 dans les quatre domaines du dessin, du coloris, de la composition et de l’expression. Grâce à une « balance rectifiée », moins favorable aux coloristes, il parvient à un classement qui place Raphaël et Poussin premiers ex aequo avec 63 points, tandis que les 62 points de Lesueur lui valent la troisième marche du podium. Mais il finit par admettre la puérilité de sa tentative de quadrathlon de la peinture :
Aimons ce qui est beau, quand nous le voyons, sans nous embarrasser à le peser. Payons l’enthousiasme du talent par l’enthousiasme de l’estime ; et laissons les balances au marchand.
Dans un opuscule intitulé Programme des jeux gymniques, le même Sobry imagine des jeux qu’il entreprend « de faire revivre et de nationaliser, en leur créant un point central à Paris » ; mais il condamne les pratiques sportives des Anglais, jadis célébrées par Voltaire en visite à Londres (« Je me crus transporté aux jeux olympiques »), et dont la mode avait envahi la France après la guerre de Sept ans :
On ne renouvellera point, parmi ces jeux, ceux que les mœurs françaises réprouvent, tels que le ceste, le pugilat, et tout ce qui porte un caractère de cruauté et de férocité […]. Nous laissons aussi aux Anglais leurs boxeurs, leurs combats de coqs, et même leurs courses méthodiques et minutieuses, dont des parieurs passifs sont les invisibles agents.
Si les franciades de Paris 1796 avaient eu lieu, elles n’auraient pas eu grand-chose à voir avec Paris 2024, sinon sans doute l’ambition de faire de la capitale le centre du monde.
Sources : Jean-Yves Guillain, Le Monde, 25 juillet 2024 ; Journal des débats et des lois, 5 brumaire an VI ; Jacques Casanova, À Léonard Snetlage, 1797, entrée « Sansculottide », p. 80-81 ; J.-F. Sobry, Poétique des arts, 1810 ; Roger de Piles, Cours de peinture par principes, 1708 ; J.-F. Sobry, Programme des jeux gymniques, brumaire an VI (nov. 1797), 39 pages ; Voltaire, Lettre à M. sur l’Angleterre, 1727.
Versailles, 1746 – Paris, 1790
En 1784, un certain François Philippe Gourdin, bénédictin de Rouen, écrit à l’académie de Lyon, dont il est membre correspondant :
Un jeune homme de ce
pays-ci qui s’amuse
à faire des expériences d’électricité, ayant chargé la bouteille de Leyde
la fit décharger. Il a éprouvé le choc la commotion. Nous avons répété
la même expérience en nous promenant dans la maison et nous avons éprouvé la
commotion.
La rature est significative : on cherche encore le mot propre pour désigner une sensation nouvelle. L’article défini est également important : la commotion (et non une commotion) renvoie à une expérience commune, une secousse initiatique éprouvée dans plusieurs cabinets d’amateurs à travers toute l’Europe.
Pour décrire la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, Louis-Sébastien Mercier emploie, métaphoriquement, la même expression :
Dans ce jour solennel, ce fut comme une expérience d’électricité. Tout ce qui touchait à la chaîne dut se ressentir de la commotion. (Nouveau Paris, 1798, chap. XIV)
Dans cet ouvrage, Mercier a recours 14 fois au mot commotion (vive, horizontale, verticale, diagonale, sanglante, politique, grande, terrible, désastreuse) pour décrire la ferveur révolutionnaire.
Le mot « chaîne » renvoie explicitement aux expériences restées fameuses que l’abbé Jean Antoine Nollet avait menées à Versailles en mars 1746 : il s’agissait de faire sursauter une chaîne humaine grâce à l’électricité statique produite par la rotation d’un grand globe de verre. Les comptes rendus de cette expérience sont assez fantaisistes : ce sont tantôt 140 marquises, comtes ou duchesses, tantôt 180 gardes royaux qui sursautent en même temps devant la cour réunie. Un demi-siècle plus tard, c’est tout le peuple parisien qui est électrisé.