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Tour à tour, l'Observateur et le Gazetier examinent un des "mots nouveaux que la Révolution française, plus féconde qu'une académie, a fait éclore".
Paris, 1795
Nous avons vu que terroriste, terrorisme et terroriser sont des mots de la Révolution, apparus dans cet ordre. Quid de terrifier ?
La 7e édition du Dictionnaire de l’Académie ne permet guère de distinguer les deux verbes :
Terroriser : Frapper de terreur, d’effroi ; inspirer une crainte très vive. L’orage terrorise les chiens. Ces menaces l’ont terrorisé. Des bandes armées terrorisaient la campagne.
Terrifier : Frapper de terreur, épouvanter. Ces cruelles exécutions terrifièrent le pays. Il fut terrifié par cette nouvelle.
Aujourd’hui terroriser exprime un degré supérieur d’intensité et de durée : c’est non seulement frapper de terreur, mais faire vivre dans la terreur. Cependant les exemples cités ci-dessus semblent montrer qu’ils furent d’abord parfaitement interchangeables.
Terrifiant, sous forme d’adjectif ou de participe présent, est plus ancien ; il qualifie l’effet produit par la majesté divine ou royale (« un terrifiant éclat »), et l’on s’étonne qu’il soit longtemps passé entre les mailles des filets des lexicographes. Mais terrifier ne se rencontre pas avant 1795 : chez Snetlage (« Les exemples terrifient les coupables et les traîtres à la Patrie ») et chez d’Ivernois :
Ce même Ministre [Dubois-Crancé], qui avait commis l’épouvantable crime de déciviliser et de terrifier toute une nation, mais qui venait de se faire pardonner en lui jurant qu’il avait mis fin pour jamais au règne de la terreur, et en ouvrant les prisons d’État, le voilà qui l’encombre de quatre cents victimes d’un nouveau genre.
1795 : c’est précisément l’année où le Journal des lois la république dénonce les agissements d’un commissaire jacobin qui osait, « au nom d’une loi qui n’existait pas, violer les lois les plus sacrées de l’union et de la fraternité », arrêter une députation à la porte de la Convention « en la morcelant pour la terroriser plus facilement et peut-être pour l’égorger avec plus de facilité »
« Nous allons terroriser les terroristes », promettait en mars 1986 le ministre Charles Pasqua, s’appuyant quant à lui sur des lois qui allaient bientôt exister, les « lois Pasqua » de 1986 et 1993; qui n'eurent guère l'efficacité escomptée
Sources : Dictionnaire de l’Académie, 7e édition, 1878 ; Léonhard Snetlage, Nouveau dictionnaire français contenant les expressions de nouvelle création du peuple français, Göttingen 1795 ; Francis d’Ivernois, Coup d’œil sur les assignats […], 6 septembre 1795, p. 70 ; Guglielmo Francesco Galletti, Journal des lois la république une et indivisible, 22 mars 1795.
Goya, 1799
Écrivassier, écrivailleur, écrivaillon
Écrivassier n’est admis par l’Académie qu’en 1835 : « Écrivassier. Terme de mépris pour désigner, Un auteur qui écrit beaucoup et très-mal. On dit plus ordinairement, Écrivailleur. »
Quelques années plus tard, Benjamin Lafaye tente de distinguer les deux termes que l’Académie donnaient comme synonymes. Selon lui, l’écrivassier, qui traite des sujets vulgaires et bas, est en outre affligé de la démangeaison d’écrire ; du reste « écrivassier est d’un usage très rare. Il ne se rencontre point dans nos auteurs antérieurement au xixe siècle ».
Ce qui est manifestement faux puisque dès 1762 François Antoine Chevrier avait successivement qualifié Élie Fréron d’« effronté écrivassier » et Louis Antoine Caraccioli d’« écrivassier italien ». L'insulte est reprise par Jean-Baptiste Dubois en 1778 et par François-Xavier Feller en 1784. En 1785 Pierre Jean-Baptiste Nougaret se lamente : « Le moindre écrivassier a la modestie de s'imaginer qu'il est philosophe » ; et en 1789 Antoine de Rivarol apostrophe Beaumarchais : « Ah ! misérable barbier, vous osez vous attaquer à un homme tel que moi ! Je prépare une réponse à cet obscur écrivassier ».
Le mot connaît un pic de popularité dans la presse révolutionnaire. D’abord sous la plume d’Élisée Loustalot en 1790 : « Un écornifleur, un pédagogue, un robin, un écrivassier, pourvu qu’il débitât bien une motion dans son district, vous parut digne de votre confiance dès le commencement de la révolution ». Seront tour à tour ainsi qualifiés : en 1791, Fabre d’Églantine (« Le d’Églantine, en son humeur sauvage,/ Dénigre, tant qu’il peut l’ancien gouvernement/ L’écrivassier s’emporte à tout moment,/ Il se démène, il tempête, il fait rage ») ; en 1792, Dominique-Joseph Garat (« C’est un moule à phrases que ce ridicule écrivassier ; il aura bientôt le sort de Condorcet ») et Jean-Louis Carra (« Moi, M. Carra, je me fais un titre de ce mépris onctueux et senti que j’ai pour tout griffonneur incendiaire comme vous M. Carra, pour tout écrivassier famélique et calomnieux, comme vous, M. Carra) ; et en 1793, Jean-Lambert Tallien, « ce fougueux écrivassier qui excite, dans ses abominables placards, tous ses frères les sans-culottes ».
La fréquence est telle qu’en 1793 le Dictionnaire de Schwan considère les deux substantifs *écrivailleur et *écrivassier (der Actenschreiber) comme des néologismes révolutionnaires ; le premier étant plutôt le graphomane, le pisse-copie (der Vielschreiber) ; le second, le gratte-papier (der Aktenschreiber, der Aktendrescher).
À propos de la bohème littéraire, son sujet de prédilection, Robert Darnton emploie les expressions « Grub Street and hack writers » ou « garret scribblers ». Ce dernier mot – scribbler – fut le titre de divers de rubriques dans divers magazines de langue anglaise dans la seconde moitié du xviiie siècle.
Il revenait à Maupassant de trouver un autre synonyme : dans Bel-Ami, Victor Duroy traite un journaliste rival « d’écrivaillon », ce qui ne tarde pas à conduire à un duel. Lors d’un récent entretien en français, cette variante est réapparue dans la bouche de R. Darnton pour qualifier Brissot : « Le futur chef de file des Girondins avait donc d’abord été un écrivaillon. »
Sources : Pierre Benjamin de Lafaye, Dictionnaire des synonymes de la langue française, 1858 ; François Antoine Chevrier, Le Colporteur, 1762 ; Jean-Baptiste Dubois, Essai sur l’histoire littéraire de Pologne, 1778 ; François-Xavier Feller, Journal historique et littéraire, 15 octobre 1784 ; Pierre Jean-Baptiste Nougaret, La Chatomanie, Londres, 1785 ; Antoine de Rivarol, Les Bagnolaises, Londres, 1789 ; Élisée Loustalot, Révolutions de Paris, février 1790 ; Guillaume Brune, Journal de la cour et de la ville, 28 novembre 1791 ; Victor Auguste de Bouyon, À deux liards, le journal, novembre 1791 ; François Marchand, La Jacobinéïde, Paris, 1792 ; Appel à la nation pour Louis XVI, 1793 ; Christian Friedrich Schwan Dictionnaire de la langue françoise et allemande, 1793 ; Robert Darnton, The Literary Underground of the Old Regime, 1985 ; « Qu’est-ce qu’être écrivain ? Une conversation avec Robert Darnton », Baptiste Roger-Lacan, legrandcontinent.eu/fr/, 12 octobre 2025. « The Scribbler n° 1 by Jonathan Eyebright », Oxford Magazine, Nov. 1768 ; « The Scribbler n° 1 (To be continued regularly every month) », The Gentleman’s Magazine, feb. 1781 ; « The Scribbler n° IV » the New-York Magazine, Jan. 1791.
Jan Josef Horemans II. L’Abbé Caraccioli, 1770,
Musée national du château de Versailles
Coppet, 1799
Il fallut attendre 1878 pour que le mot « vulgarité » entre dans le Dictionnaire de l’Académie française :
Grossièreté, manque de distinction et de raffinement. Il est d’une grande vulgarité. La vulgarité de son comportement, de ses sentiments. La décoration de cette salle frappe par sa vulgarité.
La reconnaissance tardive d’une notion à la frontière de la morale et de l’esthétique doit beaucoup à une écrivaine au-dessus de tout soupçon de vulgarité : Anne-Louise-Germaine Necker, baronne de Staël-Holstein, laquelle en revendique même la maternité :
Je sais bien que ce mot la vulgarité n’avait pas encore été employé ; mais je le crois bon et nécessaire. Je développerai dans une note de la seconde partie de cet ouvrage quelles règles il me semble raisonnable d’adopter relativement aux mots nouveaux.
Ce néologisme est employé sept fois dans De la littérature […] (1799), où la vulgarité est considérée comme la conséquence inévitable de l’accès au pouvoir d’une nouvelle classe. Certes la Révolution a voulu éclairer une plus grande masse d’hommes mais « la vulgarité du langage, des manières, des opinions, doit faire rétrograder, à beaucoup d’égards, le goût et la raison ». Plus il y a aura d’hommes éclairés, plus ils seront vulgaires (du moins dans un premier temps) ; et d’une certaine façon moins ils seront éclairés. En effet la vulgarité n’est d’abord que celle du langage, mais tout part du langage : « Les paroles grossières ou cruelles que des hommes en pouvoir se sont permises dans la conversation, devaient à la longue dépraver leur âme. » Si la distinction n’est pas la garantie d’une âme droite, son absence conduit à tous les excès.
Quoi que la baronne en dise, elle n’est pas la première à avoir parlé de vulgarité, ce mot si nécessaire dont on s’était passé jusque-là. Tout au plus en a-t-elle détourné le sens pour lui donner la valeur péjorative qu’il a gardé jusqu’à aujourd’hui, pour en faire l’expression d’un mépris de classe.
En effet, bien avant elle, la critique littéraire parlait de la vulgarité d’une métaphore, pour dire qu’elle était usée, banale (Bibliothèque française, 1746) ; c’est le sens latin de vulgaritas chez Horace, par exemple. Dans un sens différent, en 1780, Rétif de la Bretonne se défend contre ceux qui lui reprochent « la vulgarité des personnages » des Contemporaines. Mais cette vulgarité, il la revendique. Rien de ce qui est humain ne doit rester étranger à la littérature. « Dans notre siècle plus que jamais, toutes les classes sont à considérer. »
Enfin, à l’aube de la Révolution, un certain Butot le jeune publie un Cours de morale, où il affirme que « ce qui établit et soutient réellement des souverains et des empires, c’est le caractère national, la vulgarité des vraies lumières ». Vulgarité a ici un autre sens encore, hélas perdu, qui n’a rien de dépréciatif. La vulgarité des lumières, c’est leur diffusion hors du cercle étroit des philosophes
Sources : Dictionnaire de l’Académie, 7e édition, 1878 ; G. de Staël, De la littérature, considérée dans ses rapports avec les institutions sociales [1799), 2e édition, 1800, Paris, Maradan, t. 2, p. 50 et 242-246 ; Rétif de la Bretonne, Les Contemporaines, « Réponse aux critiques », t. V, 1780 ; Butot, Cours de morale fondé sur la nature de l'homme, Londres, 1789, t. 2, p. 9.
"Portraits de madame de Staël", 1808
Paris, 1788
Olympe de Gouges est considérée comme l’une des pionnières françaises du féminisme. Sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (septembre 1791) lui assure cette place de défenseure « du sexe supérieur en beauté comme en courage ». Avant de basculer dans le camp de la réaction et d’en payer le prix, Marie Gouze fut certainement une « citoyenne » courageuse et éclairée, à défaut d’être entièrement libre de préjugés aristocratiques de l’Ancien Régime. Elle a d’ailleurs puissamment contribué à mettre à la mode le mot citoyenne, avec sa Lettre au peuple, ou projet d’une caisse patriotique, par une citoyenne. L’a-t-elle inventé, comme on le lit parfois ?
Dès sa première édition (1694), le Dictionnaire de l’Académie semble admettre un féminin : « Citoyen, enne, s. » ; suivi d’une définition triplement restrictive :
Bourgeois, habitant d’une cité. Bon citoyen, riche citoyen ; sage citoyen. Il a fait le devoir d’un bon citoyen
Le citoyen est défini économiquement (bourgeois), géographiquement (une cité) et sexuellement (pas de « bonne citoyenne »). Pendant plus d’un siècle la définition ne change pas. En 1798, le citoyen est doté d’une dimension politique :
Le nom de Citoyen, dans une acception stricte et rigoureuse, se donne à l’habitant d’une Cité, d’Un État libre, qui a droit de suffrage dans les Assemblées publiques, et fait partie du Souverain.
Mais il reste « rigoureusement » masculin :
On dit, qu’Un homme est bon Citoyen, pour dire, que C’est un homme zélé pour sa Patrie.
Dès lors qu’on définit le citoyen par le droit de vote, il ne saurait y avoir de citoyenne. Le Supplément à cette 5e édition, « contenant les mots nouveaux en usage depuis la Révolution » ajoute une mise à jour :
CITOYEN, ENNE. subst. Nom commun à tous les François et autres individus des nations libres, qui jouissent des droits de Citoyen. C’est, relativement aux femmes, une simple qualification.
C’est-à-dire que « citoyenne » doit être suivi d’un nom propre : la citoyenne Gouges existe ; mais la « citoyenne » n’existe pas. Dans la 9e et dernière édition, le « citoyen, enne » est le
Ressortissant d’un État, qui y jouit de la plénitude des droits civils et politiques. La qualité de citoyen. Les droits et les devoirs du citoyen.
Plus de deux siècles après la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, toujours pas de citoyenne pour l’Académie.
Est-ce à dire que le substantif « citoyenne » est restée une pure possibilité qui ne s’est traduite par aucune actualisation dans la langue, sauf dans le titre de deux textes de Gouges, deux hapax de 1788 et 1791 ?
Deux exemples invitent à répondre par la négative. D’une part les citoyennes existaient déjà au théâtre. Par exemple, dès 1783 dans la comédie de Joseph Patrat intitulée La Résolution inutile. Julie, le personnage central (« fille de qualité, maîtresse d’elle-même ») est nommée « citoyenne » par tous les autres personnages, tour à tour : « Allez, jeune citoyenne, suivez les lois de la nature », « Citoyenne, je viens étendre et multiplier vos connaissance », « Bonjour, aimable citoyenne » … Simple effet comique ?
En 1768 était parue La Lettre d’une jeune citoyenne de Genève représentante à son frère, par laquelle ladite citoyenne reproche audit frère de l’avoir spoliée de son héritage. N’était-il donc de citoyenne que hors de France ?
Sources : Olympe de Gouges, Lettre au peuple, ou projet d’une caisse patriotique, par une citoyenne, 1788 ; Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791 ; Journal général de France, 6 novembre 1788 ; Dictionnaire de l’Académie française, 1re-9e éditions ; Joseph Patrat, La Résolution inutile, comédie en 1 acte, 1783 ; Lettre d’une jeune citoyenne de Genève représentante à son frère, 1768 (rééditée en 1782 sous le titre : Lettre d’une jeune citoyenne représentante à son frère).
C. L. Desrais et C. Frussotte, frontispice des
Remarques patriotiques, 1789 (détail)
Gaffiot nous apprend que le fanum était un lieu consacré, un temple, et que fanaticus signifiait aussi bien « inspiré, rempli d’’enthousiasme » (chez Juvénal), qu’« exalté, en délire, frénétique » (chez Cicéron). En 1762, le Dictionnaire de l’Académie retient le second sens : « Fanatique : fou, extravagant, aliéné, qui croit avoir des apparitions, des inspirations. Il ne se dit guère qu’en fait de Religion ».
Quant à fanatiser, on le rencontre d’abord en 1706 sous la plume du jésuite François Catrou, mais au sens de « faire le fanatique » :
Les femmes entêtées de l’anabaptisme jouèrent aussi leur personnage. On les vit fanatiser dans les places publiques. Les unes élevaient les mains au ciel […], les autres montraient au doigt des monstres volants qu’elles se vantaient d’apercevoir en l’air.
C’est ainsi qu’il est reçu par le Dictionnaire de Trévoux en 1752 : « Une jeune fille fanatisa de si bonne grâce, qu’elle s’attira l’applaudissement des spectateurs ».
La Révolution voit une double évolution. D’abord le verbe devient transitif. Fanatiser signifie désormais « rendre fanatique ». « Les Basques ont des prêtres, et les prêtres se servent de leur idiome pour les fanatiser ». On est désormais fanatisé, comme l’avait été Jacques Clément, l’assassin d’Henri III « fanatisé et poussé au crime par le supérieur de son couvent ». L’assassin est lui-même une victime ; car, comme le remarque L.S. Mercier, pas de fanatisé sans un agent, le fanatiseur :
Le fanatiseur n’est point fanatique ; il n’est pas dans le délire religieux, mais il voudrait le faire passer dans des âmes faibles, ardentes et timorées, qu’il abuse par des idées dont le principe est d’ailleurs respectable.
Au même moment, le domaine du fanatisme s’étend à la politique. Tout en conservant sa vieille définition du fanatique, l’Académie ajoute en 1798 :
Il signifie plus ordinairement, qui est emporté par un zèle outré, violent et souvent cruel […] On dit par extension, de celui qui se passionne à l’excès pour un parti, pour une opinion, pour un auteur, etc., qu’il est fanatique de ce parti, de cette opinion, de cet auteur.
Dans la propagande contre-révolutionnaire, les fanatisés sont les victimes d’autres forces maléfiques que celle de l’Église. Les Mémoires du général Dumouriez citent le cas du maréchal de camp Ferrand qui, « quoique d’âge à ne plus se laisser fanatiser », était devenu « un des plus forts soutiens des anarchistes ».
Malgré Laharpe, qui voulait proscrire fanatiser pour l’étrange raison qu’ « aucun adjectif en ique ne peut produire un verbe en iser », ce néologisme fut reçu par l’Académie. Mais fanatisé est aujourd’hui un peu vieilli, ayant place à radicalisé. Fana n’a guère survécu aux sixties, même si le Le Fana de l’aviation continue de paraître mensuellement. Quant au fan, il se porte bien mais ne manifeste son excès d’enthousiasme que dans des domaines autres que celui de la religion et de la politique.
Félix Gaffiot, Dictionnaire illustré français-latin, 1934 ; François Catrou, Histoire des anabaptistes, 1706, p. 367-365 ; Dictionnaire de Trévoux, 5e édition, 1752 ; Pierre-Louis Guinguené, La Feuille villageoise, n° 19, 18 pluviôse an II ; Claude-Joseph Clos, Analyse raisonnée historique et critique des lois et usages primitifs du gouvernement des Francs, 1790 ; L.-S. Mercier, Néologie, ou vocabulaire de mots nouveaux, à renouveler, ou pris dans des acceptions nouvelles, 1801, tome 1 ; Dictionnaire de l’Académie, Supplément contenant les mots nouveaux en usage depuis la révolution, 1798 ; Mémoires du général Dumouriez écrits par lui-même, 1794, II, p.166 ; La Harpe, article « Langue française », L’Esprit de l’Encyclopédie, tome 6, an VIII, p. 317-318.
« Les Jeux qui se sont tenus de 1796 à 1798 à Paris représentent une étape négligée de l’histoire de l’olympisme », affirmait récemment un historien du sport. « La première République, imprégnée de culture antique et d’idées nouvelles sur les bienfaits du sport, organisa pendant trois ans des jeux publics à Paris. » Passons sur la très anachronique idée que la Révolution aurait été sensible aux mérites de l’exercice physique gratuit, c’est-à-dire du « sport », mot qui n’existait pas alors. De tels jeux ont-ils vraiment été organisés ? Où ? Quand ? Quelle eût été leur nature ?
Certes l’article XVI du décret instaurant le Calendrier républicain en novembre 1793 prévoyait que « tous les quatre ans, ou toutes les franciades, au jour de la révolution, il sera célébré des jeux républicains en mémoire de la révolution française » ; mais cette idée était restée lettre morte, comme le déplore Jean Debry, quatre ans plus tard, devant le conseil des Cinq-Cents :
J’avais proposé au Conseil, lors de la signature des préliminaires de paix, en floréal dernier, la formation d’une commission qui vous présentât un projet de fête quinquennale pour célébrer le jour où le sang humain aurait cessé de couler sur le continent. Je réitère cette proposition ; je demande que la commission soit complétée, et qu’elle vous présente ses vues immédiatement après la décision du Corps législatif sur le traité qui lui est soumis.
On comprend que pendant quatre années de guerre ininterrompue le projet de jeux républicains n’avait pas été une priorité de la Convention puis du Directoire. Debry fait ici allusion aux préliminaires de paix du traité de Leoben d’avril 1797 et prend la parole quelques jours après la signature du traité de Campo-Formio (octobre 1797).
Les franciades (ou sans-culottides) prévues par le décret de novembre 1793 devaient se tenir tous les quatre ans (à la manière des olympiades grecques) et plus précisément chaque année bissextile (comme nos jeux olympiques modernes). Il est étrange que Debry annonce une périodicité quinquennale. Il n’est désormais plus question de célébrer l’anniversaire de la Révolution mais l’avènement de la paix : la guerre sera remplacée par une manifestation pacifique, qui verra le triomphe de la France. Depuis sa retrait de Dux, le vieux Casanova dénonce ironiquement cette visée hautement politique :
Quelles fêtes ne pourra-t-on pas instituer pour faire que toute l'Europe y accoure. [Elles] inculqueront dans les esprits les principes de la bonne morale, et peu à peu à la fin tout le monde deviendra français.
Non seulement ces jeux n’eurent sans doute jamais lieu (l’abondante presse de l’époque n’en souffle mot) mais rien n’indique qu’il se serait agi d’épreuves physiques, ni même de compétition à la manière des jeux des Grecs ou du baron de Coubertin. La référence à l’agon grec n’est pas déterminante dans la conception révolutionnaire de la fête.
Dans sa Poétique des arts, le Lyonnais Jean-François Sobry (1743-1820), semble d’abord reprendre une vieille idée de Roger de Piles, qui consiste à attribuer aux peintres des notes de 1 à 20 dans les quatre domaines du dessin, du coloris, de la composition et de l’expression. Grâce à une « balance rectifiée », moins favorable aux coloristes, il parvient à un classement qui place Raphaël et Poussin premiers ex aequo avec 63 points, tandis que les 62 points de Lesueur lui valent la troisième marche du podium. Mais il finit par admettre la puérilité de sa tentative de quadrathlon de la peinture :
Aimons ce qui est beau, quand nous le voyons, sans nous embarrasser à le peser. Payons l’enthousiasme du talent par l’enthousiasme de l’estime ; et laissons les balances au marchand.
Dans un opuscule intitulé Programme des jeux gymniques, le même Sobry imagine des jeux qu’il entreprend « de faire revivre et de nationaliser, en leur créant un point central à Paris » ; mais il condamne les pratiques sportives des Anglais, jadis célébrées par Voltaire en visite à Londres (« Je me crus transporté aux jeux olympiques »), et dont la mode avait envahi la France après la guerre de Sept ans :
On ne renouvellera point, parmi ces jeux, ceux que les mœurs françaises réprouvent, tels que le ceste, le pugilat, et tout ce qui porte un caractère de cruauté et de férocité […]. Nous laissons aussi aux Anglais leurs boxeurs, leurs combats de coqs, et même leurs courses méthodiques et minutieuses, dont des parieurs passifs sont les invisibles agents.
Si les franciades de Paris 1796 avaient eu lieu, elles n’auraient pas eu grand-chose à voir avec Paris 2024, sinon sans doute l’ambition de faire de la capitale le centre du monde.
Sources : Jean-Yves Guillain, Le Monde, 25 juillet 2024 ; Journal des débats et des lois, 5 brumaire an VI ; Jacques Casanova, À Léonard Snetlage, 1797, entrée « Sansculottide », p. 80-81 ; J.-F. Sobry, Poétique des arts, 1810 ; Roger de Piles, Cours de peinture par principes, 1708 ; J.-F. Sobry, Programme des jeux gymniques, brumaire an VI (nov. 1797), 39 pages ; Voltaire, Lettre à M. sur l’Angleterre, 1727.